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DES TURCS ET DES GRECS.

Les peuples de Hongrie s’étaient donnés au jeune Ladislas IV, roi de Pologne (1444). Amurat II ayant fait quelques années la guerre en Hongrie, dans la Thrace et dans tous les pays voisins, avec des succès divers, conclut la paix la plus solennelle que les chrétiens et les musulmans eussent jamais contractée : Amurat et Ladislas la jurèrent tous deux solennellement, l’un sur l’Alcoran, et l’autre sur l’Évangile. Le Turc promettait de ne pas avancer plus loin ses conquêtes ; il en rendit même quelques-unes : on régla les limites des possessions ottomanes, de la Hongrie et de Venise.

[1] Le cardinal Julien Cesarini, légat du pape en Allemagne, homme fameux par ses poursuites contre les partisans de Jean Hus, par le concile de Bâle auquel il avait d’abord présidé, par la croisade qu’il prêchait contre les Turcs, fut alors, par un zèle trop aveugle, la cause de l’opprobre et du malheur des chrétiens.

À peine la paix est jurée que ce cardinal veut qu’on la rompe ; il se flattait d’avoir engagé les Vénitiens et les Génois à rassembler une flotte formidable, et que les Grecs, réveillés, allaient faire un dernier effort. L’occasion était favorable : c’était précisément le temps où Amurat II, sur la foi de cette paix, venait de se consacrer à la retraite, et de résigner l’empire à Mahomet son fils, jeune encore et sans expérience.

Le prétexte manquait pour violer le serment, Amurat avait observé toutes les conditions avec une exactitude qui ne laissait nul subterfuge aux infracteurs. Le légat n’eut d’autre ressource que de persuader à Ladislas, aux chefs hongrois et aux Polonais, qu’on pouvait violer ses serments ; il harangua, il écrivit, il assura que la paix jurée sur l’Évangile était nulle, parce qu’elle avait été faite malgré l’inclination du pape. En effet le pape, qui était alors Eugène IV, écrivit à Ladislas qu’il lui ordonnait de « rompre une paix qu’il n’avait pu faire à l’insu du saint-siége ». On a déjà vu[2]

  1. Cet alinéa et les deux qui suivent étaient, en 1753, dans les Annales de l’Empire. Voltaire les ayant admis dès 1756 dans ce chapitre, n’en laissa que quelques phrases dans les Annales. (Voyez cet ouvrage, année 1443-44.) Mais il est bon de remarquer que ces phrases avaient été, pour les Annales de l’Empire tirées des manuscrits ou matériaux de l’Essai sur les Mœurs. Voyez dans les Mélanges, année 1753, la Lettre de M. de ***, professeur en histoire. (B.)
  2. Voltaire veut probablement parler du supplice de Jean Hus, que l’empereur fit exécuter malgré la foi du sauf-conduit ; voyez chapitre lxxiii. Dans les Annales de l’Empire, année 1443-44, on trouve une phrase que l’on pourrait croire celle à laquelle Voltaire renvoie, si ce n’était que cette phrase des Annales de l’Empire fut ajoutée après 1753, tandis que, dès 1753, ainsi que je l’ai dit dans la note précédente, on y lisait les trois alinéas aujourd’hui placés ici. (B.)