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DE SCANDERBEG.


Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’Amurat, après cette victoire, retourna dans sa solitude, qu’il abdiqua une seconde fois la couronne, qu’il fut une seconde fois obligé de la reprendre pour combattre et pour vaincre. (1451) Enfin il mourut à Andrinople, et laissa l’empire à son fils Mahomet II, qui songea plus à imiter la valeur de son père que sa philosophie.

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CHAPITRE XC.


De Scanderbeg.


Un autre guerrier non moins célèbre, que je ne sais si je dois appeler osmanli ou chrétien, arrêta les progrès d’Amurat, et fut même longtemps depuis un rempart des chrétiens contre les victoires de Mahomet II : je veux parler de Scanderbeg, né dans l’Albanie, partie de l’Épire, pays illustre dans les temps qu’on nomme héroïques, et dans les temps vraiment héroïques des Romains. Son nom était Jean Castriot[1]. Il était fils d’un despote ou d’un petit hospodar de cette contrée, c’est-à-dire d’un prince vassal ; car c’est ce que signifiait despote : ce mot veut dire à la lettre, maître de maison ; et il est étrange que l’on ait depuis affecté le mot de despotique aux grands souverains qui se sont rendus absolus.

Jean Castriot était encore enfant lorsque Amurat, plusieurs années avant la bataille de Varnes, dont je viens de parler, s’était saisi de l’Albanie, après la mort du père de Castriot. Il éleva cet enfant, qui restait seul de quatre frères. Les annales turques ne disent point du tout que ces quatre princes aient été immolés à la vengeance d’Amurat. Il ne paraît pas que ces barbaries fussent dans le caractère d’un sultan qui abdiqua deux fois la couronne, et il n’est guère vraisemblable qu’Amurat eût donné sa tendresse et sa confiance à celui dont il ne devait attendre qu’une haine implacable. Il le chérissait, il le faisait combattre auprès de sa personne. Jean Castriot se distingua tellement que le sultan et les janissaires lui donnèrent le nom de Scanderbeg, qui signifie le seigneur Alexandre.

  1. Georges Castriotto. (G. A.)