Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
CHAPITRE XCI.

la république romaine. Il fallait donc que Constantinople fût prise : aussi le fut-elle, mais d’une manière entièrement différente de celle dont tous nos auteurs, copistes de Ducas et de Chalcondyle, le racontent.

Cette conquête est une grande époque. C’est là où commence véritablement l’empire turc au milieu des chrétiens d’Europe ; et c’est ce qui transporta parmi eux quelques arts des Grecs.

Les annales turques, rédigées à Constantinople par le feu prince Démétrius Cantemir, m’apprennent qu’après quarante-neuf jours de siége l’empereur Constantin fut obligé de capituler. Il envoya plusieurs Grecs recevoir la loi du vainqueur. On convint de quelques articles. Ces annales turques paraissent très-vraies dans ce qu’elles disent de ce siége. Ducas lui-même, qu’on croit de la race impériale, et qui dans son enfance était dans la ville assiégée, avoue dans son histoire que le sultan offrit à l’empereur Constantin de lui donner le Péloponnèse, et d’accorder quelques petites provinces à ses frères. Il voulait avoir la ville et ne la point saccager, la regardant déjà comme son bien qu’il ménageait ; mais dans le temps que les envoyés grecs retournaient à Constantinople pour y rapporter les propositions des assiégeants, Mahomet, qui voulut leur parler encore, fait courir à eux. Les assiégés, qui du haut des murs voient un gros de Turcs courant après les leurs, tirent imprudemment sur ces Turcs. Ceux-ci sont bientôt joints par un plus grand nombre. Les envoyés grecs rentraient déjà par une poterne. Les Turcs entrent avec eux : ils se rendent maîtres de la haute ville séparée de la basse. L’empereur est tué dans la foule ; et Mahomet fait aussitôt du palais de Constantin celui des sultans, et de Sainte-Sophie sa principale mosquée.

Est-on plus touché de pitié que saisi d’indignation lorsqu’on lit dans Ducas que le sultan « envoya ordre dans le camp d’allumer partout des feux, ce qui fut fait avec ce cri impie qui est le signe particulier de leur superstition détestable » ? Ce cri impie est le nom de Dieu, Allah, que les mahométans invoquent dans tous les combats. La superstition détestable était chez les Grecs qui se réfugièrent dans Sainte-Sophie, sur la foi d’une prédiction qui les assurait qu’un ange descendrait dans l’église pour les défendre.

On tua quelques Grecs dans le parvis, on fit le reste esclave ; et Mahomet n’alla remercier Dieu dans cette église qu’après l’avoir lavée avec de l’eau de rose.

Souverain par droit de conquête d’une moitié de Constanti-