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CONSTANTINOPLE PRISE PAR LES TURCS.

nople, il eut l’humanité ou la politique d’offrir à l’autre partie la même capitulation qu’il avait voulu accordera la ville entière, et il la garda religieusement. Ce fait est si vrai que toutes les églises chrétiennes de la basse ville furent conservées jusque sous son petit-fils Sélim, qui en fit abattre plusieurs. On les appelait les mosquées d’Issévi : Issévi est, en turc, le nom de Jésus. Celle du patriarche grec subsiste encore dans Constantinople sur le canal de la mer Noire. Les Ottomans ont permis qu’on fondât dans ce quartier une académie où les Grecs modernes enseignent l’ancien grec, qu’on ne parle plus guère en Grèce, la philosophie d’Aristote, la théologie, la médecine ; et c’est de cette école que sont sortis Constantin Ducas, Mauro Cordato, et Cantemir, faits par les Turcs princes de Moldavie. J’avoue que Démétrius Cantemir a rapporté beaucoup de fables anciennes ; mais il ne peut s’être trompé sur les monuments modernes qu’il a vus de ses yeux, et sur l’académie où il a été élevé.

On a conservé encore aux chrétiens une église, et une rue entière qui leur appartient en propre, en faveur d’un architecte grec nommé Christobule. Cet architecte avait été employé par Mahomet II pour construire une mosquée sur les ruines de l’église des Saints-Apôtres, ancien ouvrage de Théodora, femme de l’empereur Justinien ; et il avait réussi à en faire un édifice qui approche de la beauté de Sainte-Sophie. Il construisit aussi, par ordre de Mahomet, huit écoles et huit hôpitaux dépendants de cette mosquée ; et c’est pour prix de ce service que le sultan lui accorda la rue dont je parle, dont la possession demeura à sa famille. Ce n’est pas un fait digne de l’histoire qu’un architecte ait eu la propriété d’une rue ; mais il est important de connaître que les Turcs ne traitent pas toujours les chrétiens aussi barbarement que nous nous le figurons. Aucune nation chrétienne ne souffre que les Turcs aient chez elle une mosquée, et les Turcs permettent que tous les Grecs aient des églises. Plusieurs de ces églises sont des collégiales ; et on voit dans l’Archipel des chanoines sous la domination d’un bacha.

Les erreurs historiques séduisent les nations entières. Une foule d’écrivains occidentaux a prétendu que les mahométans adoraient Vénus, et qu’ils niaient la Providence. Grotius lui-même a répété que Mahomet, ce grand et faux prophète, avait instruit une colombe à voler auprès de son oreille, et avait fait accroire que l’esprit de Dieu venait l’instruire sous cette forme. On a prodigué sur le conquérant Mahomet II des contes non moins ridicules.