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CHAPITRE CXIX.

reste de la nation à un esclavage si misérable que tous les habitants de la campagne se soulevèrent contre des maîtres trop durs. Cette guerre civile, qui dura quatre années, affaiblit encore ce malheureux royaume. La noblesse, mieux armée que le peuple, et possédant tout l’argent, eut enfin le dessus ; et la guerre finit par le redoublement des chaînes du peuple, qui est encore réellement esclave de ses seigneurs.

Un pays si longtemps dévasté, et dans lequel il ne restait qu’un peuple esclave et mécontent, sous des maîtres presque toujours divisés, ne pouvait plus résister par lui-même aux armes des sultans turcs : aussi, quand le jeune Louis II, fils de ce Ladislas de Bohême, et beau-frère de l’empereur Charles-Quint, voulut soutenir les efforts de Soliman, toute la Hongrie ne put, dans cette extrême nécessité, lui fournir une armée de trente mille combattants. Un cordelier nommé Tomoré, général de cette armée dans laquelle il y avait cinq évêques, promit la victoire au roi Louis. (1526) L’armée fut détruite à la célèbre journée de Mohats. Le roi fut tué, et Soliman, vainqueur, parcourut tout ce royaume malheureux, dont il emmena plus de deux cent mille captifs.

En vain la nature a placé dans ce pays des mines d’or, et les vrais trésors des blés et des vins ; en vain elle y forme des hommes robustes, bien faits, spirituels : on ne voyait presque plus qu’un vaste désert, des villes ruinées, des campagnes dont on labourait une partie les armes à la main, des villages creusés sous terre, où les habitants s’ensevelissaient avec leurs grains et leurs bestiaux, une centaine de châteaux fortifiés dont les possesseurs disputaient la souveraineté aux Turcs et aux Allemands.

Il y avait encore plusieurs beaux pays de l’Europe dévastés, incultes, inhabités, tels que la moitié de la Dalmatie, le nord de la Pologne, les bords du Tanaïs, la fertile contrée de l’Ukraine, tandis qu’on allait chercher des terres dans un nouvel univers et aux bornes de l’ancien.

Dans ce tableau du gouvernement politique du Nord, je ne dois pas oublier l’Écosse, dont je parlerai encore en traitant de la religion.

L’Écosse entrait un peu plus que le reste dans le système de l’Europe, parce que cette nation, ennemie des Anglais qui voulaient la dominer, était alliée de la France depuis longtemps. Il n’en coûtait pas beaucoup aux rois de France pour faire armer les Écossais. On voit que François Ier n’envoya que trente mille écus (qui font aujourd’hui trois cent vingt mille de nos livres) au parti qui devait faire déclarer la guerre aux Anglais (1543). En effet,