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CHAPITRE LXXV.

des Français disent qu’elle ne monta qu’à vingt mille hommes : le comte Louis de Blois, qui était l’une des causes apparentes de la guerre, y fut tué ; et le lendemain les troupes des communes du royaume furent encore défaites. Édouard, après deux victoires remportées en deux jours, prit Calais, qui resta aux Anglais deux cent dix années.

On dit que pendant ce siége Philippe de Valois ne pouvant attaquer les lignes des assiégeants, et désespéré de n’être que le témoin de ses pertes, proposa au roi Édouard de vider cette grande querelle par un combat de six contre six. Édouard, ne voulant pas remettre à un combat incertain la prise certaine de Calais, refusa ce duel, comme Philippe de Valois l’avait d’abord refusé. Jamais les princes n’ont terminé eux seuls leurs différends ; c’est toujours le sang des nations qui a coulé.

Ce qu’on a le plus remarqué dans ce fameux siége qui donna à l’Angleterre la clef de la France, et ce qui était peut-être le moins mémorable, c’est qu’Édouard exigea, par la capitulation, que six bourgeois vinssent lui demander pardon à moitié nus et la corde au cou : c’était ainsi qu’on en usait avec des sujets rebelles. Édouard était intéressé à faire sentir qu’il se regardait comme roi de France. Des historiens et des poëtes[1] se sont efforcés de célébrer les six bourgeois qui vinrent demander pardon, comme des Codrus qui se dévouaient pour la patrie ; mais il est faux qu’Édouard demandât ces pauvres gens pour les faire pendre. La capitulation portait que « six bourgeois, pieds nus et tête nue, viendraient hart au col lui apporter les clefs de la ville, et que d’iceux le roi d’Angleterre et de France en ferait à sa volonté ».

Certainement Édouard n’avait nul dessein de faire serrer la corde que les six Calaisiens avaient au cou, puisqu’il fit présent à chacun de six écus d’or et d’une robe. Celui qui avait si généreusement nourri toutes les bouches inutiles chassées de Calais par le commandant Jean de Vienne ; celui qui pardonna si généreu-

  1. Les historiens et les poëtes dont parle Voltaire sont Villaret (voyez son Histoire de France, tome VIII, publiée en 1760), et de Belloy dont la tragédie du Siége de Calais fut jouée en 1765 (voyez dans la Correspondance les lettres du mois de mars 1765). Au reste, le texte, tel qu’on le lit ici, est posthume. En 1761, l’auteur disait seulement : Nos historiens s’extasient sur la générosité, sur la grandeur d’âme de six habitants qui se dévouèrent à la mort. Mais au fond ils devaient bien se douter que si Édouard III voulait qu’ils eussent la corde au cou, ce n’était pas pour la faire serrer. Il les traita très-humainement. (B.)