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DE LA FRANCE, ET DE L’ANGLETERRE.

sement au traître Aimery de Pavie, nommé par lui gouverneur de Calais, convaincu d’avoir vendu la place aux Français ; celui qui, étant venu lui-même battre les Français venus pour la prendre, au lieu de faire trancher la tête à Charny et à Ribaumont, coupables d’avoir fait ce marché pendant une trêve, leur donna à souper après les avoir pris de sa main, et leur fit les plus nobles présents ; enfin celui qui traita avec tant de grandeur et de politesse son malheureux captif, le roi de France Jean, n’était pas un barbare[1]. L’idée de réparer les désastres de la France par la grandeur d’âme de six habitants de Calais, et de mettre au théâtre d’assez mauvaises raisons en assez mauvais vers en faveur de la loi salique, est d’un énorme ridicule[2].

Cette guerre, qui se faisait à la fois en Guienne, en Bretagne, en Normandie, en Picardie, épuisait la France et l’Angleterre d’hommes et d’argent. Ce n’était pourtant pas alors le temps de se détruire pour l’intérêt de l’ambition : il eût fallu se réunir contre un fléau d’une autre espèce. (1347 et 1348) Une peste mortelle, qui avait fait le tour du monde, et qui avait dépeuplé l’Asie et l’Afrique, vint alors ravager l’Europe, et particulièrement la France et l’Angleterre.

Elle enleva, dit-on, la quatrième partie des hommes : c’est une des causes qui ont fait que dans nos climats le genre humain ne s’est point multiplié dans la proportion où l’on croit qu’il devait l’être.

Mézerai a dit après d’autres que cette peste vint de la Chine, et qu’il était sorti de la terre une exhalaison enflammée en globes de feu, laquelle, en crevant, répandit son infection sur l’hémisphère. C’est donner une origine trop fabuleuse à un malheur trop certain. Premièrement, on ne voit pas que jamais un tel météore ait donné la peste ; secondement, les annales chinoises ne parlent d’aucune maladie contagieuse que vers l’an 1504. La peste, proprement dite, est une maladie attachée au climat du milieu de l’Afrique, comme la petite vérole à l’Arabie, et comme le venin qui empoisonne la source de la vie est originaire chez les Caraïbes. Chaque climat a son poison dans ce malheureux globe, où la

  1. Ce que dit Voltaire du prétendu dévouement des six bourgeois est exact. Mais ce qu’il dit de la générosité d’Édouard n’est pas aussi vrai. Édouard voulait bel et bien d’abord passer au fil de l’épée les habitants de Calais. Ce furent ses chevaliers qui s’y opposèrent en lui remontrant que, s’il traitait ainsi les assiégés, ses gens n’oseraient jamais s’enfermer dans les places par crainte de représailles. (G. A)
  2. Voltaire se moque ici de la tragédie nationale de de Belloy, le Siége de Calais. (G. A.)