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LA FRANCE SOUS LE ROI JEAN.

provinces, et payer encore beaucoup pour le Dauphiné. L’impôt du sel, qu’on appela sa loi salique, le haussement des tailles, les infidélités sur les monnaies, le mirent en état de faire ces acquisitions. L’État fut augmenté, mais il fut appauvri ; et si ce roi eut d’abord le nom de fortuné, le peuple ne put jamais prétendre à ce titre. Mais sous Jean, son fils, on regretta encore le temps de Philippe de Valois.

Ce qu’il y eut de plus intéressant pour les peuples sous ce règne fut l’appel comme d’abus que le parlement introduisit peu à peu par les soins de l’avocat général Pierre Cugnières. Le clergé s’en plaignit hautement, et le roi se contenta de conniver à cet usage, et de ne pas s’opposer à un remède qui soutenait son autorité et les lois de l’État. Cet appel comme d’abus, interjeté aux parlements du royaume, est une plainte contre les sentences ou injustes ou incompétentes que peuvent rendre les tribunaux ecclésiastiques, une dénonciation des entreprises qui ruinent la juridiction royale, une opposition aux bulles de Rome qui peuvent être contraires aux droits du roi et du royaume[1].

Ce remède, ou plutôt ce palliatif, n’était qu’une faible imitation de la fameuse loi Præmunire, publiée sous Édouard III par le parlement d’Angleterre ; loi par laquelle quiconque portait à des cours ecclésiastiques des causes dont la connaissance appartenait aux tribunaux royaux était mis en prison. Les Anglais, dans tout ce qui concerne les libertés de l’État, ont donné plus d’une fois l’exemple.

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CHAPITRE LXXVI.


De la France sous le roi Jean. Célèbre tenue des états généraux. Bataille de Poitiers. Captivité de Jean. Ruine de la France. Chevalerie, etc.


Le règne de Jean est encore plus malheureux que celui de Philippe. (1350) Jean, qu’on a surnommé le Bon, commence par faire assassiner son connétable le comte d’Eu. (1354) Quelque temps après, le roi de Navarre, son cousin et son gendre, fait

  1. Voyez l’article Abus, dans le Dictionnaire philosophique. (Note de Voltaire.)