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LA FRANCE SOUS LE ROI JEAN.

perpétuel, n’eut point entrée dans cette grande assemblée. En effet le prévôt des marchands de Paris[1] comme député-né de la première ville du royaume, porta la parole au nom du tiers état. Mais un point essentiel de l’histoire, qu’on a passé sous silence, c’est que les états imposèrent un subside d’environ cent quatre- vingt-dix mille marcs d’argent pour payer trente mille gendarmes : ce sont dix millions quatre cent mille livres d’aujourd’hui ; ces trente mille gendarmes composaient au moins une armée de quatre-vingt mille hommes, à laquelle on devait joindre les communes du royaume ; et au bout de l’année on devait établir encore un nouveau subside pour l’entretien de la même armée. Enfin ce qu’il faut observer, c’est que cette espèce de grande charte ne fut qu’un règlement passager, au lieu que celle des Anglais fut une loi perpétuelle. Cela prouve que le caractère des Anglais est plus constant et plus ferme que celui des Français.

Mais le Prince Noir, avec une armée redoutable, quoique petite, s’avançait jusqu’à Poitiers, et ravageait ces terres qui étaient autrefois du domaine de sa maison. (Septembre 1356) Le roi Jean accourut à la tête de près de soixante mille hommes. Personne n’ignore qu’il pouvait, en temporisant, prendre toute l’armée anglaise par famine.

Si le Prince Noir avait fait une grande faute de s’être engagé si avant, le roi Jean en fit une plus grande de l’attaquer. Cette bataille de Maupertuis ou de Poitiers ressembla beaucoup à celle que Philippe de Valois avait perdue. Il y eut de l’ordre dans la petite armée du Prince Noir ; il n’y eut que de la bravoure chez les Français : mais la bravoure des Anglais et des Gascons qui servaient sous le prince de Galles l’emporta. Il n’est point dit qu’on eût fait usage du canon dans aucune des deux armées. Ce silence peut faire douter qu’on s’en soit servi à Crécy ; ou bien il fait voir que, l’artillerie ayant fait peu d’effet dans la bataille de Crécy, on en avait discontinué l’usage ; ou il montre combien les hommes négligeaient des avantages nouveaux pour les coutumes anciennes ; ou enfin il accuse la négligence des historiens contemporains. Les principaux chevaliers de France périrent ; et cela prouve que l’armure n’était pas alors si pesante et si complète qu’autrefois : le reste s’enfuit. Le roi, blessé au visage, fut fait prisonnier avec un de ses fils. C’est une particularité digne d’attention que ce monarque se rendit à un de ses sujets, qu’il avait banni, et qui servait chez ses ennemis. La même chose arriva depuis à Fran-

  1. Étienne Marcel.