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CHAPITRE LXXVI.

çois Ier. Le Prince Noir mena ses deux prisonniers à Bordeaux, et ensuite à Londres. On sait avec quelle politesse, avec quel respect il traita le roi captif, et comme il augmenta sa gloire par sa modestie. Il entra dans Londres sur un petit cheval noir, marchant à la gauche de son prisonnier monté sur un cheval remarquable par sa beauté et par son harnois ; nouvelle manière d’augmenter la pompe du triomphe.

La prison du roi fut dans Paris le signal d’une guerre civile. Chacun pense alors à se faire un parti. On ne voit que factions sous prétexte de réformes, Charles, dauphin de France, qui fut depuis le sage roi Charles V, n’est déclaré régent du royaume que pour le voir presque révolté contre lui.

Paris commençait à être une ville redoutable ; il y avait cinquante mille hommes capables de porter les armes. On invente alors l’usage des chaînes dans les rues, et on les fait servir de retranchement contre les séditieux. Le dauphin Charles est obligé de rappeler le roi de Navarre, que le roi son père avait fait emprisonner. C’était déchaîner son ennemi. (1357) Le roi de Navarre arrive à Paris pour attiser le feu de la discorde. Marcel, prévôt des marchands de Paris, entre au Louvre suivi des séditieux. Il fait massacrer Robert de Clermont, maréchal de France, et le maréchal de Champagne, aux yeux du dauphin. Cependant les paysans s’attroupent de tous côtés, et dans cette confusion ils se jettent sur tous les gentilhommes qu’ils rencontrent ; ils les traitent comme des esclaves révoltés, qui ont entre leurs mains des maîtres trop durs et trop farouches. Ils se vengent par mille supplices de leur bassesse et de leurs misères. Ils portent leur fureur jusqu’à faire rôtir un seigneur dans son château, et à contraindre sa femme et ses filles de manger la chair de leur époux et de leur père.

Dans ces convulsions de l’État, Charles de Navarre aspire à la couronne ; le dauphin et lui se font une guerre qui ne finit que par une paix simulée. La France est ainsi bouleversée pendant quatre ans depuis la bataille de Poitiers. Comment Édouard et le prince de Galles ne profitaient-ils pas de leur victoire et des malheurs des vaincus ? Il semble que les Anglais redoutassent la grandeur de leurs maîtres ; ils leur fournissaient peu de secours ; et Édouard traitait de la rançon de son prisonnier, tandis que le Prince Noir acceptait une trêve.

Il paraît que de tous côtés on faisait des fautes ; mais on ne peut comprendre comment tous nos historiens ont eu la simplicité d’assurer que le roi Édouard III, étant venu pour recueillir le fruit des deux victoires de Crécy et de Poitiers, s’étant avancé