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FONDATION DES PROVINCES-UNIES.

la tête tranchée ; leur sang fut le premier ciment de la république des Provinces-Unies.

Le prince d’Orange, retiré en Allemagne, condamné à perdre la tête, ne pouvait armer que les protestants en sa faveur ; et pour les animer, il fallait l’être. Le calvinisme dominait dans les provinces maritimes des Pays-Bas. Guillaume était né luthérien. Charles-Quint, qui l’aimait, l’avait rendu catholique ; la nécessité le fit calviniste : car les princes qui ont ou établi, ou protégé, ou changé les religions, en ont rarement eu. Il était très-difficile à Guillaume de lever une armée. Ses terres en Allemagne étaient peu de chose : le comté de Nassau appartenait à l’un de ses frères. Mais ses frères, ses amis, son mérite, et ses promesses, lui firent trouver des soldats. Il les envoie d’abord en Frise sous les ordres de son frère le comte Louis : son armée est détruite. Il ne se décourage point. Il en forme une autre d’Allemands et de Français que l’enthousiasme de la religion et l’espoir du pillage engagent à son service. La fortune lui est rarement favorable ; il est réduit à aller combattre dans l’armée des huguenots de France, ne pouvant pénétrer dans les Pays-Bas. Les sévérités espagnoles donnèrent encore de nouvelles ressources. L’imposition du dixième de la vente des biens meubles, du vingtième des immeubles, et du centième des fonds, acheva d’irriter les Flamands. Comment le maître du Mexique et du Pérou était-il forcé à ces exactions ? et comment Philippe n’était-il pas venu lui-même dans le pays, comme son père, étouffer tous ces troubles ?

(1570) Le prince d’Orange entra enfin dans le Brabant avec une petite armée. Il se retira en Zélande et en Hollande. Amsterdam, aujourd’hui si fameuse, était alors peu de chose, et n’osa pas même se déclarer pour le prince d’Orange. Cette ville était alors occupée d’un commerce nouveau et bas en apparence, mais qui fut le fondement de sa grandeur. La pêche du hareng et l’art de le saler ne paraissent pas un objet bien important dans l’histoire du monde : c’est cependant ce qui a fait d’un pays méprisé et stérile une puissance respectable. Venise n’eut pas des commencements plus brillants ; tous les grands empires ont commencé par des hameaux, et les puissances maritimes par des barques de pêcheurs.

Toute la ressource du prince d’Orange était dans des pirates : l’un d’eux surprend la Brille ; un curé fait déclarer Flessingue ; enfin les états de Hollande et de Zélande assemblés à Dordrecht, et Amsterdam elle-même, s’unissent avec lui, et le reconnaissent pour stathouder : il tint alors des peuples cette même dignité qu’il