Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
CHAPITRE CLXIV.

de Charles par sa mère, et du pape Paul III par son père ; le même qui vint depuis en France délivrer Paris, et combattre Henri le Grand. L’histoire ne célèbre point de plus grand homme de guerre ; mais il ne put empêcher ni la fondation des sept Provinces-Unies, ni les progrès de cette république, qui naquit sous ses yeux.

Ces sept provinces, que nous appelons aujourd’hui du nom général de la Hollande, contractent (29 janvier 1579) par les soins du prince d’Orange cette union qui paraît si fragile, et qui a été si constante, de sept provinces toujours indépendantes l’une de l’autre, ayant toujours des intérêts divers, et toujours aussi étroitement jointes par le grand intérêt de la liberté que l’est ce faisceau de flèches qui forme leurs armoiries et leur emblème.

Cette union d’Utrecht, le fondement de la république, l’est aussi du stathoudérat. Guillaume est déclaré chef des sept provinces sous le nom de capitaine, d’amiral général, de stathouder. Les dix autres provinces, qui pouvaient avec la Hollande former la république la plus puissante du monde, ne se joignent point aux sept petites Provinces-Unies. Celles-ci se protègent elles-mêmes ; mais le Brabant, la Flandre, et les autres, veulent un prince étranger pour les protéger. L’archiduc Mathias était devenu inutile. Les états généraux renvoient avec une pension modique ce fils et ce frère d’empereur, qui fut depuis empereur lui-même. Ils font venir François, duc d’Anjou[1], frère du roi de France Henri III, avec lequel ils négociaient depuis longtemps. Toutes ces provinces étaient partagées entre quatre partis : celui de Mathias, si faible qu’on le renvoie ; celui du duc d’Anjou, qui devint bientôt funeste ; celui du duc de Parme, qui, n’ayant pour lui que quelques seigneurs et son armée, sut enfin conserver dix provinces au roi d’Espagne ; et celui de Guillaume de Nassau, qui lui en arracha sept pour jamais.

C’est dans ce temps que Philippe, toujours tranquille à Madrid, proscrivit le prince d’Orange (1580), et mit sa tête à vingt-cinq mille écus. Cette méthode de commander des assassinats, inouïe depuis le triumvirat, avait été pratiquée en France contre l’amiral de Coligny, beau-père de Guillaume ; et on avait promis cinquante mille écus pour son sang : celui du prince son gendre ne fut estimé que la moitié par Philippe, qui pouvait payer plus chèrement.

Quel était le préjugé qui régnait encore ! Le roi d’Espagne,

  1. Ou mieux François d’Anjou, ex-duc d’Alençon.