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DE LA FRANCE SOUS CHARLES IX.

des hérétiques ». Baronius dit que cette action était nécessaire. La cour ordonna dans toutes les provinces les mêmes massacres qu’à Paris ; mais plusieurs commandants refusèrent d’obéir. Un Saint-Hérem en Auvergne[1], un La Guiche à Mâcon, un vicomte d’Orte à Bayonne, et plusieurs autres, écrivirent à Charles IX la substance de ces paroles : « qu’ils périraient pour son service, mais qu’ils n’assassineraient personne pour lui obéir ».

Ces temps étaient si funestes, le fanatisme ou la terreur domina tellement les esprits, que le parlement de Paris ordonna que tous les ans on ferait une procession le jour de la Saint-Barthélemy, pour rendre grâces à Dieu. Le chancelier de L’Hospital pensa bien autrement, en écrivant Excidat illa dies. On reprochait à L’Hospital d’être fils d’un juif, de n’être pas chrétien dans le fond de son cœur ; mais c’était un homme juste[2]. La procession ne se fit point, et l’on eut enfin horreur de consacrer la mémoire de ce qui devait être oublié pour jamais. Mais dans la chaleur de l’événement, la cour voulut que le parlement fît le procès à l’amiral après sa mort, et que l’on condamnât juridiquement deux gentilshommes de ses amis, Briquemaut et Cavagnes. Ils furent traînés à la Grève sur la claie avec l’effigie de Coligny, et exécutés. Ce fut le comble des horreurs d’ajouter à cette multitude d’assassinats les formes qu’on appelle de la justice.

S’il pouvait y avoir quelque chose de plus déplorable que la Saint-Barthélemy, c’est qu’elle fit naître la guerre civile au lieu de couper la racine des troubles. Les calvinistes ne pensèrent plus, dans tout le royaume, qu’à vendre chèrement leurs vies. On avait égorgé soixante mille de leurs frères en pleine paix : il en restait environ deux millions pour faire la guerre. De nouveaux massacres suivent donc de part et d’autre ceux de la Saint-Barthélemy. Le siége de Sancerre fut mémorable. Les historiens disent que les réformés s’y défendirent comme les Juifs à Jéru-

  1. La belle conduite du gouverneur de l’Auvergne est contestée : voyez, tome VIII, page 274, une note ajoutée à l’Essai sur les Guerres civiles de France.
  2. Il n’y a jamais eu aucune preuve que L’Hospital ait eu un juif pour père ; son père, médecin du cardinal de Bourbon, professait la religion chrétienne. Cependant, d’un autre côté, beaucoup de juifs exerçaient la médecine ; et jamais, quelle qu’en soit la cause, on n’a su le nom ni l’état du grand-père du chancelier. Il est très-vraisemblable d’ailleurs qu’il n’était ni protestant ni catholique, mais de la religion de Cicéron, de Caton, de Marc-Aurèle, admettant un Dieu, et regardant toutes les religions particulières comme des fables adoptées par le peuple ; mais persuadé qu’il est impossible de les détruire sans que d’autres les remplacent, et qu’ainsi le devoir de l’homme d’État éclairé est de chercher à les rendre le plus utiles, ou plutôt le moins nuisibles qu’il est possible au bonheur commun. (K.)