Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/179

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avaient élevé des fortunes si rapides et si immenses sur la crédulité et sur la misère publiques portèrent dans Amsterdam, dans Rotterdam, dans Londres, le même artifice et la même folie. On parle encore avec étonnement de ces temps de démence et de ce fléau politique ; mais qu’il est peu considérable, en comparaison des guerres civiles et de celles de religion qui ont si longtemps ensanglanté l’Europe, et des guerres de peuple à peuple, ou plutôt de prince à prince, qui dévastent tant de contrées ! Il se trouva dans Londres et dans Rotterdam des charlatans qui firent des dupes. On créa des compagnies et des commerces imaginaires, Amsterdam fut bientôt désabusé. Rotterdam fut ruiné pour quelque temps. Londres fut bouleversé pendant l’année 1720. Il résulta de cette manie, en France et en Angleterre, un nombre prodigieux de banqueroutes, de fraudes, de vols publics et particuliers, et toute la dépravation de mœurs que produit une cupidité effrénée.


CHAPITRE III.

DE L’ABBÉ DUBOIS, ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI, CARDINAL, PREMIER MINISTRE. MORT DU DUC D’ORLÉANS, RÉGENT DE FRANCE[1].


Il ne faut pas passer sous silence le ministère du cardinal Dubois. C’était le fils d’un apothicaire de Brive-la-Gaillarde, dans le fond du Limousin. Il avait commencé par être instituteur du duc d’Orléans, et ensuite, en servant son élève dans ses plaisirs, il en acquit la confiance : un peu d’esprit, beaucoup de débauche, de la souplesse, et surtout le goût de son maître pour la singularité, firent sa prodigieuse fortune ; si ce cardinal premier ministre avait été un homme grave, cette fortune aurait excité l’indignation, mais elle ne fut qu’un ridicule. Le duc d’Orléans se jouait de son premier ministre, et ressemblait à ce pape[2] qui fit son porte-singe cardinal. Tout se tournait en gaieté et en plai-

  1. J’ajoute les trois derniers mots de ce sommaire d’après l’exemplaire dont j’ai parle dans mon Avertissement. Ce chapitre est de 1768 ; mais beaucoup d’additions sont posthumes. (B.)
  2. Jules III ; voyez, dans les Mélanges, le Catéchisme de l’honnête homme…