Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/235

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on se lève, tout le monde court en tumulte sans savoir où l’on va. Les églises s’ouvrent en pleine nuit : on ne connaît plus le temps ni du sommeil, ni de la veille, ni du repas. Paris était hors de lui-même ; toutes les maisons des hommes en place étaient assiégées d’une foule continuelle : on s’assemblait dans tous les carrefours. Le peuple s’écriait : « S’il meurt, c’est pour avoir marché à notre secours. » Tout le monde s’abordait, s’interrogeait dans les églises sans se connaître. Il y eut plusieurs églises où le prêtre, qui prononçait la prière pour la santé du roi, interrompit le chant par ses pleurs, et le peuple lui répondit par des sanglots et par des cris. Le courrier qui apporta, le 19, à Paris la nouvelle de sa convalescence fut embrassé et presque étouffé par le peuple : on baisait son cheval ; on le menait en triomphe. Toutes les rues retentissaient d’un cri de joie : « Le roi est guéri ! » Quand on rendit compte à ce monarque des transports inouïs de joie qui avaient succédé à ceux de la désolation, il en fut attendri jusqu’aux larmes, et, en se soulevant par un mouvement de sensibilité qui lui rendait des forces : « Ah ! s’écria-t-il, qu’il est doux d’être aimé ainsi ! et qu’ai-je fait pour le mériter[1] ? »

Tel est le peuple de France, sensible jusqu’à l’enthousiasme, et capable de tous les excès dans ses affections comme dans ses murmures.

L’archiduchesse, épouse du prince de Lorraine, mourut à Bruxelles, vers ce même temps, d’une manière douloureuse. Elle était chérie des Brabançons, et méritait de l’être ; mais ces peuples n’ont pas l’âme passionnée des Français.

Les courtisans ne sont pas comme le peuple. Le péril de Louis XV fit naître parmi eux plus d’intrigues et de cabales qu’on n’en vit autrefois quand Louis XIV fut sur le point de mourir à Calais[2] : son petit-fils en éprouva les effets dans Metz, Les moments de crise où il parut expirant furent ceux qu’on choisit pour l’accabler par les démarches les plus indiscrètes, qu’on disait inspirées par des motifs religieux, mais que la raison réprouvait, et que l’humanité condamnait. Il échappa à la mort et à ces pièges.

Dès qu’il eut repris ses sens, il s’occupa, au milieu de son danger, de celui où le prince Charles avait jeté la France par son passage du Rhin. Il n’avait marché que dans le dessein de com-

  1. La première phrase est de trop. Il dit : « Qu’ai-je donc fait pour être aimé ainsi ? » Et ce fut tout. Il se rendit justice, dit M. Henri Martin, par son étonnement. (G. A.)
  2. Voyez tome XIV, page 214.