Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/256

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Le maréchal de Saxe, au milieu de ce triomphe, se fit porter vers le roi ; il retrouva un reste de force pour embrasser ses genoux, et pour lui dire ces propres paroles : « Sire, j’ai assez vécu ; je ne souhaitais de vivre aujourd’hui que pour voir Votre Majesté victorieuse. Vous voyez, ajouta-t-il ensuite, à quoi tiennent les batailles. » Le roi le releva, et l’embrassa tendrement.

Il dit au duc de Richelieu : « Je n’oublierai jamais le service important que vous m’avez rendu ; » il parla de même au duc de Biron. Le maréchal de Saxe dit au roi : « Sire, il faut que j’avoue que je me reproche une faute. J’aurais dû mettre une redoute de plus entre les bois de Barri et de Fontenoy ; mais je n’ai pas cru qu’il y eût des généraux assez hardis pour hasarder de passer en cet endroit. »

Les alliés avaient perdu neuf mille hommes, parmi lesquels il y avait environ deux mille prisonniers. Ils n’en firent presque aucun sur les Français.

Par le compte exactement rendu au major général de l’infanterie française, il ne se trouva que seize cent quatre-vingt-un soldats ou sergents d’infanterie tués sur la place, et trois mille deux cent quatre-vingt-deux blessés. Parmi les officiers, cinquante-trois seulement étaient morts sur le champ de bataille, trois cent vingt-trois étaient en danger de mort par leurs blessures. La cavalerie perdit environ dix-huit cents hommes.

Jamais, depuis qu’on fait la guerre, on n’avait pourvu avec plus de soin à soulager les maux attachés à ce fléau. Il y avait des hôpitaux préparés dans toutes les villes voisines, et surtout à Lille ; les églises mêmes étaient employées à cet usage digne d’elles ; non-seulement aucun secours, mais encore aucune commodité ne manqua, ni aux Français, ni à leurs prisonniers blessés. Le zèle même des citoyens alla trop loin ; on ne cessait d’apporter de tous côtés, aux malades, des aliments délicats ; et les médecins des hôpitaux furent obligés de mettre un frein à cet excès dangereux de bonne volonté. Enfin les hôpitaux étaient si bien servis que presque tous les officiers aimaient mieux y être traités que chez des particuliers ; et c’est ce qu’on n’avait point encore vu.

On est entré dans les détails sur cette seule bataille de Fontenoy. Son importance, le danger du roi et du dauphin, l’exigeaient. Cette action décida du sort de la guerre, prépara la conquête des Pays-Bas, et servit de contre-poids à tous les événements malheureux. Ce qui rend encore cette bataille à jamais mémorable, c’est qu’elle fut gagnée lorsque le général, affaibli