Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/289

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membres de la république étaient ouvertement de cet avis. En un mot, il est certain que si les États-Généraux avaient pris la ferme résolution de pacifier l’Europe, ils en seraient venus à bout ; ils auraient joint cette gloire à celle d’avoir fait autrefois d’un si petit pays un État puissant et libre, et cette gloire a été longtemps dans leurs mains ; mais le parti anglais et le préjugé général prévalurent. Je ne crois pas qu’il y ait un peuple qui revienne plus difficilement de ses anciennes impressions que la nation hollandaise. L’irruption de Louis XIV et l’année 1672[1] étaient encore dans leurs cœurs ; et j’ose dire que je me suis aperçu plus d’une fois que leur esprit, frappé de la hauteur ambitieuse de Louis XIV, ne pouvait concevoir la modération de Louis XV : ils ne la crurent jamais sincère. On regardait toutes ses démarches pacifiques et tous ses ménagements, tantôt comme des preuves de faiblesse, tantôt comme des pièges.

Le roi, qui ne pouvait les persuader, fut forcé de conquérir une partie de leur pays pendant la tenue d’un congrès inutile : il fit entrer ses troupes dans la Flandre hollandaise ; c’est un démembrement des domaines de cette même Autriche dont ils prenaient la défense : il commence une lieue au-dessous de Gand, et s’étend à droite et à gauche, d’un côté à Middelbourg sur la mer, de l’autre jusqu’au-dessous d’Anvers sur l’Escaut. Il est garni de petites places d’un difficile accès, et qui auraient pu se défendre. Le roi, avant de prendre cette province, poussa encore les ménagements jusqu’à déclarer aux États-Généraux qu’il ne regarderait ces places que comme un dépôt qu’il s’engageait à restituer sitôt que les Hollandais cesseraient de fomenter la guerre en accordant des passages et des secours d’hommes et d’argent à ses ennemis[2].

On ne sentit point cette indulgence ; on ne vit que l’irruption, et la marche des troupes françaises fit un stathouder. Il arriva précisément ce que l’abbé de Laville, dans le temps qu’il faisait les fonctions d’envoyé en Hollande, avait dit à plusieurs seigneurs des états qui refusaient toute conciliation, et qui voulaient changer la forme du gouvernement : « Ce ne sera pas vous, ce sera nous qui vous donnerons un maître[3]. »

  1. 1. Voyez tome XIV, pages 254-255.
  2. C’était pour ménager le parti français ; mais cette réserve ne fit qu’irriter davantage.
  3. Tout cela se fit à la sortie de d’Argenson du ministère. L’alliance de la Hollande, que celui-ci avait rêvée, avorta. Notre envahissement eut ce beau résultat de sceller l’union de l’Angleterre et de la Hollande. (G. A.)