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DE L'ABOLISSEMENT DES JÉSUITES.
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point ; il en employa une partie à satisfaire quelques créanciers de Paris, dont les cris lui paraissaient plus dangereux que ceux qui se faisaient entendre de plus loin.

Les deux Marseillais se pourvurent cependant devant la juridiction consulaire de leur ville. La Valette et Sacy furent condamnés solidairement le 19 novembre 1759. Mais comment faire payer quinze cent mille francs à deux jésuites ? Les mêmes créanciers et quelques autres demandèrent que la sentence fût exécutoire contre toute la société établie en France. Cette sentence fut obtenue par défaut le 29 mai 1760 ; mais il était aussi difficile de faire payer la société que d’avoir de l’argent des deux jésuites Sacy et La Valette.

Ce n’était pas, comme on sait, la première banqueroute que les jésuites avaient faite. On se souvenait de celle de Séville, qui avait réduit cent familles à la mendicité en 1644. Ils en avaient été quittes pour donner des indulgences aux familles ruinées, et pour associer à leur ordre les principales et les plus dévotes.

Ils pouvaient appeler de la sentence des consuls de Marseille par-devant la commission du conseil établie pour juger tous les différends touchant le commerce de l’Amérique ; mais M. de La Grand’ville, conseiller d’État et leur affilié, qu’ils consultèrent, leur conseilla de plaider devant le parlement de Paris : ils suivirent cet avis, qui leur devint funeste. Cette cause fut plaidée à la grand’chambre avec la plus grande solennité. L’avocat Gerbier se fit, en parlant contre eux, la même réputation qu’autrefois les Arnauld et les Pasquier.

Après plusieurs audiences, M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, alors avocat général, résuma toute la cause, et fit voir que La Valette étant visiteur apostolique, et Sacy procureur général des missions, étaient deux banquiers ; que ces deux banquiers étaient commissionnaires du général résidant à Rome ; que ce général était administrateur de toutes les maisons de l’ordre ; et, sur ses conclusions, il fut rendu arrêt par lequel le général des jésuites et toute la société étaient condamnés à restitution, aux intérêts, aux dépens, et à cinquante mille livres de dommages, le 8 mai 1761[1].

Le général ne pouvant être contraint, les jésuites de France le furent. Le prononcé fut reçu du public avec des applaudissements et des battements de mains incroyables. Quelques jésuites, qui avaient eu la hardiesse et la simplicité d’assister à l’au-

  1. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Apointer.