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CHAPITRE LXVIII.


dience, furent reconduits par la populace avec des huées. La joie fut aussi universelle que la haine. On se souvenait de leurs persécutions, et eux-mêmes avouèrent que le public les lapidait avec les pierres de Port-Royal, qu’ils avaient détruit sous Louis XIV[1].

Pendant qu’on avait plaidé cette cause, tous les esprits s’étaient tellement échauffés, les anciennes plaintes contre cette compagnie s’étaient renouvelées si hautement, qu’avant de les condamner pour leur banqueroute les chambres assemblées avaient ordonné, dès le 17 avril, qu’ils apporteraient leurs constitutions au greffe. Ce fut l’abbé Chauvelin qui. le premier, dénonça leur institut comme ennemi de l’État, et qui par là rendit un service éternel à la patrie.

Ils obtinrent par leurs intrigues que le roi lui-même se réserverait dans son conseil la connaissance de ces constitutions : en effet le roi ordonna, par une déclaration, qu’elles lui fussent apportées. La déclaration fut enregistrée au parlement le 6 août ; mais le même jour les chambres assemblées firent brûler par le bourreau vingt-quatre gros volumes[2] des théologiens jésuites. Le parlement remit au roi l’exemplaire des constitutions de cet ordre ; mais il ordonna en même temps que les jésuites en apporteraient un autre dans trois jours, et leur défendit de recevoir des novices et de faire des leçons publiques, à commencer au 1er octobre 1761. Ils n’obéirent point ; il fallut que le roi lui-même leur ordonnât de fermer leurs classes, le 1er avril 1762 ; et alors ils obéirent.

Pendant tout le temps que dura cette tempête qu’eux-mêmes avaient excitée, non-seulement plusieurs ecclésiastiques, mais encore quelques membres du parlement les rendaient odieux à la nation par des écrits publics. L’abbé Chauvelin fut celui qui se distingua le plus, et qui hâta leur destruction.

Les jésuites répondirent ; mais leurs livres ne firent pas plus d’effet que les satires imprimées contre eux du temps qu’ils étaient puissants. Tous les parlements du royaume, l’un après l’autre, déclarèrent leur institut incompatible avec les lois du royaume. Le 6 août 1762, le parlement de Paris leur ordonna « de renoncer pour toujours au nom, à l’habit, aux vœux, au régime de leur

  1. En 1709 ; voyez le chapitre XXXVII du Siècle de Louis XIV.
  2. L’arrêt de la cour du parlement, du 6 août 1761, condamne plus de vingt-quatre volumes ; mais il y a vingt-quatre énumérations d’ouvrages. Les tomes III et IV des Commentaires de Salmeron y forment chacun un article ; les Commentaires de J. Tirin, qui sont en deux ou trois volumes, y forment un seul article. (B.)