Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
DE L'ABOLISSEMENT DES JÉSUITES.


société ; d’évacuer les noviciats, les colléges, les maisons professes, dans huitaine » ; leur défendit « de se trouver deux ensemble, et de travailler en aucun temps et de quelque manière que ce fût à leur rétablissement, sous peine d’être déclarés criminels de lèse-majesté ».

Le 22 février 1764, autre arrêt qui ordonnait que dans huitaine les jésuites qui voudraient rester en France feraient serment d’adjurer l’institut.

Le 9 mars suivant, arrêt qui bannit du royaume tous ceux qui n’auront pas fait le serment[1]. Enfin le roi, par un édit du mois de novembre 1764, cédant à tous les parlements et aux cris de toute la nation, dissout la société sans retour.

Ce grand exemple, imité depuis et surpassé encore en Espagne, dans les Deux-Siciles, à Parme et à Malte, a fait voir que ce qu’on croit difficile est souvent très-aisé ; et on a été convaincu qu’il serait aussi facile de détruire toutes les usurpations des papes que d’anéantir des religieux qui passaient pour ses premiers satellites[2]. Enfin le cordelier Ganganelli, devenu pape, détruisit l’ordre entier par une bulle (1773) ; et après avoir soutenu pendant deux cents ans que le pape pouvait tout, les jésuites furent obligés de soutenir peu à peu qu’il ne peut même licencier un régiment de moines.


  1. Le P. Griffet, connu par des sermons médiocres et par des ouvrages historiques plus médiocres encore, était regardé comme un grand homme par le parti des jésuites. Il n’y avait dans ce parti aucun homme d’un mérite réel, et Griffet avait du moins celui d’avoir défendu la cause de son ordre contre les parlements avec plus de zèle et de courage que de raison ou d’éloquence. Il demanda au parlement la permission de rester en France, parce qu’il était obligé de subir l’opération de la taille. Il n’y a qu’un corps qui puisse avoir le courage d’ajouter quelque chose au malheur d’un homme condamné à une opération cruelle et dangereuse. On ordonna, par arrêt, que Griffet serait sondé par les chirurgiens du parlement. C’était le comble de la barbarie d’exiger qu’un malade se soumît à essuyer une opération douloureuse, et où la maladresse d’un chirurgien peut causer la mort, par la main d’un homme à qui il n’avait point donné sa confiance. Griffet aima mieux partir ; et telle était alors la haine contre les jésuites, que le parlement crut n’avoir fait que suivre les formes. ( K.)
  2. C’est ici que finissait la première édition. L’alinéa qui termine aujourd’hui ce chapitre est posthume. (B.)