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LIVRE DEUXIÈME.


compagnies n’ont presque jamais pris de bons conseils dans les troubles civils, parce que les factieux y sont hardis, et que les gens de bien y sont timides pour l’ordinaire. La diète se sépara en tumulte le 17 février de l’année 1702, après trois mois de cabales et d’irrésolutions. Les sénateurs, qui sont les palatins et les évêques, restèrent dans Varsovie. Le sénat de Pologne a le droit de faire provisionnellement des lois, que rarement les diètes infirment ; ce corps, moins nombreux, accoutumé aux affaires, fut bien moins tumultueux et décida plus vite.

Ils arrêtèrent qu’on enverrait au roi de Suède l’ambassade proposée dans la diète, que la pospolite monterait à cheval et se tiendrait prête à tout événement ; ils firent plusieurs règlements pour apaiser les troubles de Lithuanie, et plus encore pour diminuer l’autorité de leur roi, quoique moins à craindre que celle de Charles.

Auguste aima mieux alors recevoir des lois dures de son vainqueur que de ses sujets. Il se détermina à demander la paix au roi de Suède, et voulut entamer avec lui un traité secret. Il fallait cacher cette démarche au sénat, qu’il regardait comme un ennemi encore plus intraitable. L’affaire était délicate ; il s’en reposa sur la comtesse de Koënigsmark, Suédoise d’une grande naissance, à laquelle il était alors attaché. C’est elle dont le frère est connu par sa mort malheureuse[1] et dont le fils[2] a commandé les armées en France avec tant de succès et de gloire. Cette femme, célèbre dans le monde par son esprit et par sa beauté, était plus capable qu’aucun ministre de faire réussir une négociation. De plus, comme elle avait du bien dans les États de Charles XII, et qu’elle avait été longtemps à sa cour, elle avait un prétexte plausible d’aller trouver ce prince. Elle vint donc au camp des Suédois en Lithuanie, et s’adressa d’abord au comte Piper, qui lui promit trop légèrement une audience de son maître. La comtesse, parmi les perfections qui la rendaient une des plus aimables personnes de l’Europe, avait le talent singulier de parler les langues de plusieurs pays qu’elle n’avait jamais vus, avec autant de délicatesse

  1. Philippe, comte de Koënigsmark, était l’amant de la princesse Sophie-Dorothée de Brunswick-Lunebourg-Zelle. Il devait même l’enlever, lorsqu’un soir il fut attaqué par quatre hommes qui le percèrent de coups et jetèrent son corps dans un égout.
  2. Maurice de Saxe, maréchal de France, qui avait gagné, en 1745, la bataille de Fontenoy. (Voyez, tome XV, le chapitre XV du Précis du Siècle de Louis XV.) La phrase où il est question du frère et du fils de la comtesse a été ajoutée en 1756, six ans après la mort du maréchal de Saxe. (B.)