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HISTOIRE DE CHARLES XII.


que si elle y était née ; elle s’amusait même quelquefois à faire des vers français[1] qu’on eût pris pour être d’une personne née à Versailles. Elle en composa pour Charles XII, que l’histoire ne doit point omettre. Elle introduisait les dieux de la fable, qui tous louaient les différentes vertus de Charles. La pièce finissait ainsi :

Enfin chacun des dieux, discourant à sa gloire,
Le plaçait par avance au temple de mémoire ;
Mais Vénus ni Bacchus n’en dirent pas un mot.

Tant d’esprit et d’agréments étaient perdus auprès d’un homme tel que le roi de Suède. Il refusa constamment de la voir. Elle prit le parti de se trouver sur son chemin dans les fréquentes promenades qu’il faisait à cheval. Effectivement elle le rencontra un jour dans un sentier fort étroit : elle descendit de carrosse dès qu’elle l’aperçut ; le roi la salua sans lui dire un seul mot, tourna la bride de son cheval, et s’en retourna dans l’instant ; de sorte que la comtesse de Koënigsmark ne remporta de son voyage que la satisfaction de pouvoir croire que le roi de Suède ne redoutait qu’elle.

Il fallut alors que le roi de Pologne se jetât dans les bras du sénat. Il lui fit deux propositions par le palatin de Marienbourg : l’une, qu’on lui laissât la disposition de l’armée de la république, à laquelle il payerait de ses propres deniers deux quartiers d’avance ; l’autre, qu’on lui permît de faire revenir en Pologne douze mille Saxons. Le cardinal primat fit une réponse aussi dure qu’était le refus du roi de Suède. Il dit au palatin de Marienbourg, au nom de l’assemblée, « qu’on avait résolu d’envoyer à Charles XII une ambassade, et qu’il ne lui conseillait pas de faire venir les Saxons ».

Le roi, dans cette extrémité, voulut au moins conserver les apparences de l’autorité royale. Un de ses chambellans alla de sa part trouver Charles, pour savoir de lui où et comment Sa Majesté suédoise voudrait recevoir l’ambassade du roi son maître et de la république. On avait oublié malheureusement de demander un passeport aux Suédois pour ce chambellan. Le roi de Suède le fit mettre en prison au lieu de lui donner audience, en disant qu’il comptait recevoir une ambassade de la république, et rien du roi Auguste. Cette violation du droit des gens n’était permise que par la loi du plus fort.

  1. On en trouve dans l’Histoire du maréchal de Saxe, Dresde, 1755, tome Ier, page 208.