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LIVRE TROISIÈME.


Si ces brefs parvenaient aux évêques qui étaient à Varsovie, il était à craindre que quelques-uns n’obéissent par faiblesse, et que la plupart ne s’en prévalussent pour se rendre plus difficiles, à mesure qu’ils seraient plus nécessaires. On avait donc pris toutes les précautions pour empêcher que les lettres du pape ne fussent reçues dans Varsovie. Un franciscain reçut secrètement les brefs pour les délivrer en main propre aux prélats. Il en donna d’abord un au suffragant de Chelm : ce prélat, très-attaché à Stanislas, le porta au roi tout cacheté. Le roi fit venir le religieux, et lui demanda comment il avait osé se charger d’une telle pièce. Le franciscain répondit que c’était par l’ordre de son général, Stanislas lui ordonna d’écouter désormais les ordres de son roi préférablement à ceux du général des franciscains, et le fit sortir dans le moment de la ville.

Le même jour on publia un placard du roi de Suède, par lequel il était défendu à tous ecclésiastiques séculiers et réguliers dans Varsovie, sous des peines très-grièves, de se mêler des affaires d’État. Pour plus de sûreté, il fit mettre des gardes aux portes de tous les prélats, et défendit qu’aucun étranger entrât dans la ville. Il prenait sur lui ces petites sévérités, afin que Stanislas ne fût point brouillé avec le clergé à son avènement. Il disait qu’il se délassait de ses fatigues militaires en arrêtant les intrigues de la cour romaine, et qu’on se battait contre elle avec du papier, au lieu qu’il fallait attaquer les autres souverains avec des armes véritables.

Le cardinal primat était sollicité par Charles et par Stanislas de venir faire la cérémonie du couronnement. Il ne crut pas devoir quitter Dantzick pour sacrer un roi qu’il n’avait point voulu élire ; mais comme sa politique était de ne jamais rien faire sans prétexte, il voulut préparer une excuse légitime à son refus. Il fit afficher, pendant la nuit, le bref du pape à la porte de sa propre maison. Le magistrat de Dantzick, indigné, fit chercher les coupables, qu’on ne trouva point. Le primat feignait d’être irrité, et était fort content : il avait une raison pour ne point sacrer le nouveau roi, et il se ménageait en même temps avec Charles XII, Auguste, Stanislas, et le pape. Il mourut peu de jours après, laissant son pays dans une confusion affreuse, et n’ayant réussi, par toutes ses intrigues, qu’à se brouiller à la fois avec les trois rois Charles, Auguste et Stanislas, avec sa république, et avec le pape, qui lui avait ordonné de venir à Rome rendre compte de sa conduite ; mais comme les politiques mêmes ont quelquefois des remords dans leurs derniers moments, il écrivit au roi Auguste, en mourant, pour lui demander pardon.