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PRÉFACE HISTORIQUE ET CRITIQUE.


Leur qualité de moines apostats ne devait pas leur concilier la créance publique ; cependant c’est un plaisir de voir avec quelle confiance ils annoncent tous deux qu’ils sont chargés du dépôt de la vérité : ils rebattent sans cesse cette maxime, qu’il faut oser dire tout ce qui est vrai ; ils devaient ajouter qu’il faut commencer par en être instruit.

Leur maxime dans leur bouche est leur propre condamnation ; mais cette maxime en elle-même mérite bien d’être examinée, puisqu’elle est devenue l’excuse de toutes les satires.

Toute vérité publique, importante, utile, doit être dite, sans doute ; mais s’il y a quelque anecdote odieuse sur un prince, si, dans l’intérieur de son domestique, il s’est livré, comme tant de particuliers, à des faiblesses de l’humanité, connues peut-être d’un ou deux confidents, qui vous a chargé de révéler au public ce que ces deux confidents ne devaient révéler à personne ? Je veux que vous ayez pénétré dans ce mystère, pourquoi déchirez-vous le voile dont tout homme a droit de se couvrir dans le secret de sa maison ? et par quelle raison publiez-vous ce scandale ? Pour flatter la curiosité des hommes, répondez-vous, pour plaire à leur malignité, pour débiter mon livre, qui, sans cela, ne serait pas lu. Vous n’êtes donc qu’un satirique, qu’un faiseur de libelles, qui vendez des médisances ; et non pas un historien.

Si cette faiblesse d’un homme public, si ce vice secret que vous cherchez à faire connaître, a influé sur les affaires publiques, s’il a fait perdre une bataille, dérangé les finances de l’État, rendu les citoyens malheureux, vous devez en parler : votre devoir est de démêler ce petit ressort caché qui a produit de grands événements ; hors de là vous devez vous taire.

Que nulle vérité ne soit cachée : c’est une maxime qui peut souffrir quelques exceptions. Mais en voici une qui n’en admet point : « Ne dites à la postérité que ce qui est digne de la postérité. »

§ VII.

Outre le mensonge dans les faits, il y a encore le mensonge dans les portraits. Cette fureur de charger une histoire de portraits a commencé en France par les romans. C’est Clélie[1] qui mit cette manie à la mode. Sarrasin, dans l’aurore du bon goût[2], fit l’Histoire de la conspiration de Valstein, qui n’avait jamais conspiré ;

  1. Roman de Mlle Scudéry, en dix volumes, dont la première édition est de 1656.
  2. C’est-à-dire au commencement du règne de Louis XIV.