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PRÉFACE HISTORIQUE ET CRITIQUE.


il ne manque pas, en faisant le portrait de Valstein, qu’il n’avait jamais vu, de traduire presque tout ce que Salluste dit de Catilina, que Salluste avait beaucoup vu. C’est écrire l’histoire en bel esprit ; et qui veut trop faire parade de son esprit ne réussit qu’à le montrer, ce qui est bien peu de chose.

Il convenait au cardinal de Retz de peindre les principaux personnages de son temps, qu’il avait tous pratiqués, et qui avaient été ou ses amis ou ses ennemis ; il ne les a pas peints sans doute de ces couleurs fades dont Maimbourg enlumine dans ses histoires romanesques les princes des temps passés. Mais était-il un peintre fidèle ? la passion, le goût de la singularité, n’égaraient-ils pas son pinceau ? Devait-il, par exemple, s’exprimer ainsi sur la reine, mère de Louis XIV : « Elle avait de cette sorte d’esprit qui lui était nécessaire pour ne pas paraître sotte aux yeux de ceux qui ne la connaissaient pas ; plus d’aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, plus d’application à l’argent que de libéralité, plus de libéralité que d’intérêt, plus d’intérêt que de désintéressement, plus d’attachement que de passion, plus de dureté que de fierté, plus d’intention de piété que de piété, plus d’opiniâtreté que de fermeté, et plus d’incapacité que tout ce que dessus » ?

Il faut avouer que les obscurités de ces expressions, cette foule d’antithèses et de comparatifs, et le burlesque de cette peinture si indigne de l’histoire, ne doivent pas plaire aux esprits bien faits. Ceux qui aiment la vérité doutent de celle du portrait, en lui comparant la conduite de la reine ; et les cœurs vertueux sont aussi révoltés de l’aigreur et du mépris que l’historien déploie en parlant d’une princesse qui le combla de bienfaits, qu’ils sont indignés de voir un archevêque faire la guerre civile, comme il l’avoue, uniquement pour le plaisir de la faire.

S’il faut se défier de ces portraits tracés par ceux qui étaient si à portée de bien peindre, comment pourrait-on croire sur sa parole un historien s’il affectait de vouloir pénétrer un prince qui aurait vécu à six cents lieues de lui ? Il faut en ce cas le peindre par ses actions, et laisser à ceux qui ont approché longtemps de sa personne le soin de dire le reste.

Les harangues sont une autre espèce de mensonge oratoire que les historiens se sont permis autrefois. On faisait dire à ses héros ce qu’ils n’auraient pu dire. Cette liberté, surtout, pouvait se prendre avec un personnage d’un temps éloigné ; mais aujourd’hui ces fictions ne sont plus tolérées : on exige bien plus, car si on mettait dans la bouche d’un prince une harangue qu’il n’eût