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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.


ont aussi des prophètes qui expliquent les songes ; et il n’y a pas longtemps que nous n’en avons plus.

Depuis que la cour de Russie a assujetti ces peuples en bâtissant cinq forteresses dans leur pays, on leur a annoncé la religion grecque. Un gentilhomme russe très-instruit m’a dit qu’une de leurs grandes objections était que ce culte ne pouvait être fait pour eux, puisque le pain et le vin sont nécessaires à nos mystères, et qu’ils ne peuvent avoir ni pain ni vin dans leur pays.

Ce peuple d’ailleurs mérite peu d’observations ; je n’en ferai qu’une : c’est que, si on jette les yeux sur les trois quarts de l’Amérique, sur toute la partie méridionale de l’Afrique, sur le Nord, depuis la Laponie jusqu’aux mers du Japon, on trouve que la moitié du genre humain n’est pas au-dessus des peuples du Kamtschatka.

D’abord un officier cosaque alla par terre de la Sibérie au kamtschatka, en 1701, par ordre de Pierre, qui, après la malheureuse journée de Narva, étendait encore ses soins d’un bord du continent à l’autre. Ensuite, en 1725, quelque temps avant que la mort le surprit au milieu de ses grands projets, il envoya le capitaine Bering, danois, avec ordre exprès d’aller par la mer du Kamtschatka sur les terres de l’Amérique, si cette entreprise était praticable. Bering ne put réussir dans sa première navigation. L’impératrice Anne l’y envoya encore en 1733. Spengenberg, capitaine de vaisseau, associé à ce voyage, partit le premier du Kamtschatka ; mais il ne put se mettre en mer qu’en 1739, tant il avait fallu de temps pour arriver au port où l’on s’embarqua, pour y construire des vaisseaux, pour les gréer et les fournir des choses nécessaires. Spengenberg pénétra jusqu’au nord du Japon par un détroit que forme une longue suite d’îles, et revint sans avoir découvert que ce passage.

En 1741, Béring courut cette mer accompagné de l’astronome Delisle de La Croyère, de cette famille Delisle qui a produit de si savants géographes ; un autre capitaine allait de son côté à la découverte. Béring et lui atteignirent les côtes de l’Amérique, au nord de la Californie. Ce passage, si longtemps cherché par les mers du Nord, fut donc enfin découvert[1] ; mais on ne trouva nul secours sur ces côtes désertes. L’eau douce manqua ; le scorbut

  1. La découverte importante de Béring est celle du détroit qui porte son nom, et qui sépare l’Asie de l’Amérique vers le soixante-septième degré de latitude nord ; point essentiel de géographie, jusqu’alors très-problématique, et qu’il a le premier constaté d’une manière certaine. (Note de Decroix.)