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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XIV.


Pierre présidait souvent à cette assemblée. Un jour qu’il s’agissait de présenter un évêque, le synode remarqua qu’il n’avait encore que des ignorants à présenter au czar : « Hé bien ! dit-il, il n’y a qu’à choisir le plus honnête homme, cela vaudra bien un savant. »

Il est à remarquer que, dans l’Église grecque, il n’y a point de ce que nous appelons abbés séculiers : le petit collet n’y est connu que par son ridicule ; mais, par un autre abus, puisqu’il faut que tout soit abus dans le monde, les prélats sont tirés de l’ordre monastique. Les premiers moines n’étaient que des séculiers, les uns dévots, les autres fanatiques, qui se retiraient dans des déserts : ils furent rassemblés enfin par saint Basile, reçurent de lui une règle, firent des vœux, et furent comptés pour le dernier ordre de la hiérarchie, par lequel il faut commencer pour monter aux dignités. C’est ce qui remplit de moines la Grèce et l’Asie. La Russie en était inondée : ils étaient riches, puissants, et, quoique très-ignorants, ils étaient, à l’avènement de Pierre, presque les seuls qui sussent écrire ; ils en avaient abusé dans les premiers temps, où ils furent si étonnés et si scandalisés des innovations que faisait Pierre en tout genre. Il avait été obligé, en 1703, de défendre l’encre et les plumes aux moines : il fallait une permission expresse de l’archimandrite, qui répondait de ceux à qui il la donnait.

Pierre voulut que cette ordonnance subsistât. Il avait voulu d’abord qu’on n’entrât dans l’ordre monastique qu’à l’âge de cinquante ans ; mais c’était trop tard : la vie de l’homme est trop courte, on n’avait pas le temps de former des évêques ; il régla avec son synode qu’il serait permis de se faire moine à trente ans passés, mais jamais au-dessous ; défense aux militaires et aux cultivateurs d’entrer jamais dans un couvent, à moins d’un ordre exprès de l’empereur ou du synode : jamais un homme marié ne peut être reçu dans un monastère, même après le divorce, à moins que sa femme ne se fasse aussi religieuse de son plein consentement, et qu’ils n’aient point d’enfants. Quiconque est au service de l’État ne peut se faire moine, à moins d’une permission expresse. Tout moine doit travailler de ses mains à quelque métier. Les religieuses ne doivent jamais sortir de leur monastère ; on leur donne la tonsure à l’âge de cinquante ans, comme aux diaconesses de la primitive Église, et si, avant d’avoir reçu la tonsure, elles veulent se marier, non-seulement elles le peuvent, mais on les y exhorte : règlement admirable dans un pays où la population est beaucoup plus nécessaire que les monastères.

Pierre voulut que ces malheureuses filles, que Dieu a fait naître pour peupler l’État, et qui, par une dévotion mal entendue