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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XV.


Dans ce temps-là même la flotte anglaise, sous le commandement de l’amiral Norris, entra dans la mer Baltique pour favoriser les Suédois. Pierre eut assez de confiance dans sa nouvelle marine pour ne se pas laisser imposer par les Anglais ; il tint hardiment la mer, et envoya demander à l’amiral anglais s’il venait simplement comme ami des Suédois, ou comme ennemi de la Russie. L’amiral répondit qu’il n’avait point encore d’ordre positif. Pierre, malgré cette réponse équivoque, ne laissa pas de tenir la mer.

Les Anglais, en effet, n’étaient venus que dans l’intention de se montrer, et d’engager le czar, par ces démonstrations, à faire aux Suédois des conditions de paix acceptables. L’amiral Norris alla à Copenhague, et les Russes firent quelques descentes en Suède dans le voisinage même de Stockholm : ils ruinèrent des forges de cuivre ; ils brûlèrent près de quinze mille maisons[1] et causèrent assez de mal pour faire souhaiter aux Suédois que la paix fût incessamment conclue.

En effet, la nouvelle reine de Suède pressa le renouvellement des négociations ; Osterman même fut envoyé à Stockholm : les choses restèrent dans cet état pendant toute l’année 1719.

L’année suivante, le prince de Hesse, mari de la reine de Suède, devenu roi de son chef, par la cession de sa femme, commença son règne par l’envoi d’un ministre à Pétersbourg, pour hâter cette paix tant désirée ; mais, au milieu de ces négociations, la guerre durait toujours.

La flotte anglaise se joignit à la suédoise, mais sans commettre encore d’hostilités : il n’y avait point de rupture déclarée entre la Russie et l’Angleterre : l’amiral Norris offrait la médiation de son maître, mais il l’offrait à main armée, et cela même arrêtait les négociations. Telle est la situation des côtes de la Suède et de celles des nouvelles provinces de Russie sur la mer Baltique que l’on peut aisément insulter celles de Suède, et que les autres sont d’un abord très-difficile. Il y parut bien lorsque l’amiral Norris, ayant levé le masque, fit enfin une descente, conjointement avec les Suédois, dans une petite île de l’Estonie, nommée Narguen, appartenante au czar : ils brûlèrent une cabane[2] ; mais les Russes, dans le même temps, descendirent vers Vasa, brûlèrent quarante et un villages et plus de mille maisons, et causèrent dans tout le pays un dommage inexprimable. Le prince Gallitzin prit quatre frégates suédoises à l’abordage ; il semblait que l’amiral anglais

  1. Juillet 1719. (Note de Voltaire.)
  2. Juin 1720. (Id.)