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PAIX DE NEUSTADT.


ne fût venu que pourvoir de ses yeux à quel point le czar avait rendu sa marine redoutable. Norris ne fit presque que se montrer à ces mêmes mers sur lesquelles on menait les quatre frégates suédoises en triomphe au port de Cronslot devant Pétersbourg. Il paraît que les Anglais en firent trop s’ils n’étaient que médiateurs, et trop peu s’ils étaient ennemis.

Enfin[1] le nouveau roi de Suède[2] demanda une suspension d’armes ; et, n’ayant pu réussir jusqu’alors par les menaces de l’Angleterre, il employa la médiation du duc d’Orléans, régent de France : ce prince, allié de la Russie et de la Suède, eut l’honneur de la conciliation ; il envoya[3] Campredon plénipotentiaire à Pétersbourg, et de là à Stockholm. Le congrès s’assembla dans Neustadt, petite ville de Finlande ; mais le czar ne voulut accorder l’armistice que quand on fut sur le point de conclure et de signer. Il avait une armée en Finlande, prête à subjuguer le reste de cette province ; ses escadres menaçaient continuellement la Suède : il fallait que la paix ne se fît que suivant ses volontés. On souscrivit enfin à tout ce qu’il voulut : on lui céda à perpétuité tout ce qu’il avait conquis, depuis les frontières de la Courlande jusqu’au fond du golfe de Finlande, et par delà encore, le long du pays de Kexholm, et cette lisière de la Finlande même qui se prolonge des environs de Kexholm au nord ; ainsi il resta souverain reconnu de la Livonie, de l’Estonie, de l’Ingrie, de la Carélie, du pays de Vibourg, et des îles voisines, qui lui assuraient encore la domination de la mer, comme les îles d’Oesel, de Dago, de Mône, et beaucoup d’autres. Le tout formait une étendue de trois cents lieues communes, sur des largeurs inégales, et composait un grand royaume, qui était le prix de vingt années de peines.

Cette paix de Neustadt[4] fut signée, le 10 septembre 1721, n. st., par son ministre Osterman et le général Bruce.

Pierre eut d’autant plus de joie que, se voyant délivré de la nécessité d’entretenir de grandes armées vers la Suède, libre d’inquiétude avec l’Angleterre et avec ses voisins, il se voyait en état de se livrer tout entier à la réforme de son empire, déjà si bien commencée, et à faire fleurir en paix les arts et le commerce, introduits par ses soins avec tant de travaux.

Dans les premiers transports de sa joie, il écrivit à ses pléni-

  1. Novembre 1720. (Note de Voltaire.)
  2. Frédéric ; voyez la note 2 de la page 354.
  3. Février 1721. (Note de Voltaire.)
  4. Voyez le texte du traité, page 630.