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DU PARLEMENT SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV.


soutinrent à l’envi les droits de la couronne contre les entreprises de Rome : concert heureux qu’on n’avait pas vu depuis Louis XII. Le parlement même parut très-disposé à délivrer entièrement la nation du joug de l’Église romaine, joug qu’il a toujours secoué, mais qu’il n’avait jamais brisé.

L’avocat général Talon et le procureur général Harlai, en appelant comme d’abus d’une bulle d’Innocent XI, en 1687, firent assez connaître combien il était aisé que la France demeurât unie avec la chaire de Rome dans le dogme, et en fût absolument séparée dans tout le reste.

Les évêques n’allaient pas jusque-là ; mais c’était beaucoup que le clergé, animé par le grand Bossuet, démentît solennellement, en 1682, la doctrine du cardinal du Perron, qui avait prévalu si malheureusement dans les états de 1614.

Ce clergé, devenu plus citoyen que romain, s’expliqua ainsi dans quatre propositions mémorables :

1. Dieu n’a donné à Pierre et à ses successeurs aucune puissance, ni directe ni indirecte, sur les choses temporelles,

2. L’Église gallicane approuve le concile de Constance, qui déclare les conciles généraux supérieurs au pape dans le spirituel.

3. Les règles, les usages, les pratiques, reçus dans le royaume et dans l’Église gallicane, doivent demeurer inébranlables,

4. Les décisions du pape en matière de foi ne sont sûres qu’après que l’Église les a acceptées.

Ces quatre décisions n’étaient à la vérité que quatre boucliers contre des agressions innombrables ; et même, quelques années après, Louis XIV, se croyant assez puissant pour négliger ces armes défensives, permit que le clergé les abandonnât, et la plupart des mêmes évêques qui s’en étaient servis contre Innocent XI en demandèrent pardon à Innocent XII ; mais le parlement, qui ne doit connaître que la loi et non la politique, les a toujours conservées avec une vigueur inflexible.

Il n’eut pas la même inflexibilité au sujet de l’affaire ridicule et presque funeste de la bulle Unigenitus, envoyée de Rome en 1713, bulle qu’on savait assez avoir été fabriquée à Paris par trois jésuites[1] ; bulle qui condamnait les maximes les plus reçues, et même les plus inviolables. Qui croirait que jamais des chrétiens

    onze ans avec lui. Au reste Voltaire, dans le chapitre VIII de l’Ingénu, parle de la querelle qui existait depuis neuf ans. (B.)

  1. Voltaire parle plus au long de la fabrication de la bulle Unigenitus à l’article Bulle du Dictionnaire philosophique. Voyez aussi ci-après, chap. LXII, pages 67 et suivantes.