pour l’objet qui est à quatre. La proportion sera toujours la même : si vous voyez l’objet à huit pas sous un angle de moitié plus grand, vous voyez aussi l’objet à quatre pas sous un angle de moitié plus grand ou environ. Donc ni la géométrie ni la physique ne peuvent expliquer cette difficulté.
Ces lignes et ces angles géométriques ne sont pas plus réellement la cause de ce que nous voyons les objets à leur place que de ce que nous les voyons de telle grandeur, et à telle distance.
L’âme ne considère pas si telle partie va se peindre au bas de l’œil ; elle ne rapporte rien à des lignes qu’elle ne voit point. L’œil se baisse seulement pour voir ce qui est près de la terre, et se relève pour voir ce qui est au-dessus de la terre.
Tout cela ne pouvait être éclairci, et mis hors de toute contestation, que par quelque aveugle-né à qui on aurait donné le sens de la vue. Car si cet aveugle, au moment qu’il eut ouvert les yeux, eût jugé des distances, des grandeurs et des situations, il eût été vrai que les angles optiques, formés tout d’un coup dans sa rétine, eussent été les causes immédiates de ses sentiments. Aussi le docteur Barclay assurait après M. Locke (et allant même en cela plus loin que Locke) que ni situation, ni grandeur, ni distance, ni figure ne serait aucunement discernée par cet aveugle dont les yeux recevraient tout d’un coup la lumière.
Mais où trouver l’aveugle dont dépendait la décision indubitable de cette question ? Enfin, en 1729, M. Cheselden, un de ces fameux chirurgiens qui joignent l’adresse de la main aux plus grandes lumières de l’esprit, ayant imaginé qu’on pouvait donner la vue à un aveugle-né en lui abaissant ce qu’on appelle des cataractes, qu’il soupçonnait formées dans ses yeux presque au moment de sa naissance, il proposa l’opération. L’aveugle eut de la peine à y consentir. Il ne concevait pas trop que le sens de la vue pût beaucoup augmenter ses plaisirs. Sans l’envie qu’on lui inspira d’apprendre à lire et à écrire, il n’eût point désiré de voir. Il vérifiait par cette indifférence qu’il est impossible d’être malheureux par la privation des biens dont on n’a pas d’idée : vérité bien importante. Quoi qu’il en soit, l’opération fut faite, et réussit. Ce jeune homme d’environ quatorze ans vit la lumière pour la première fois. Son expérience confirma tout ce que Locke et Barclay avaient si bien prévu. Il ne distingua de longtemps ni grandeur, ni situation, ni même figure. Un objet d’un pouce, mis devant son œil, et qui lui cachait une maison, lui paraissait aussi grand que la maison. Tout ce qu’il voyait lui semblait