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L'A, B, C. 357

rends à un Espagnol aux mêmes conditions, quel reproche ai-je à lui faire? Il n'y a dans un marché que ce qu'on y met, comme dit l'empereur Justinien^

Montesquieu n'avoue-t-il pas lui-même qu'il y a des peuples d'Europe chez lesquels il est fort commun de se vendre, comme par exemple les Russes?

B.

Il est vrai qu'il le dit-, et qu'il cite le capitaine Jean Perry dans VÉtat présent de la Russie^; mais il cite à son ordinaire. Jean Perry dit précisément le contraire*. Voici ses propres mots -. « Le czar a ordonné que personne ne se dirait à l'avenir son esclave, son golup, mais seulement raah, qui signifie sujet. Il est vrai que ce peuple n'en tire aucun avantage réel, car il est encore aujour- d'hui esclave. »

En effet, tous les cultivateurs, tous les habitants des terres ap- partenantes aux boyards ou aux prêtres sont esclaves. Si l'impé- ratrice de Russie commence à créer des hommes libres, elle rendra par là son nom immortel.

Au reste, à la honte de l'humanité, les agriculteurs, les ar- tisans, les bourgeois qui ne sont pas citoyens des grandes villes, sont encore esclaves, serfs de glèbe, en Pologne, en Bohême, en Hongrie, en plusieurs provinces de l'Allemagne, dans la moitié de la Franche-Comté ^ dans le quart de la Bourgogne; et ce qu'il y a de contradictoire, c'est qu'ils sont esclaves des prêtres. Il y a tel évêque qui n'a guère que des serfs de glèbe de mainmorte dans son territoire : telle est l'humanité, telle est la charité chré- tienne. Quant aux esclaves faits pendant la guerre, on ne voit

1. Cela suppose qu'on a droit de tuer un homme qui se rend; sans quoi, celui qui fait esclave un ennemi, au lieu de le tuer, est un peu plus coupable qu'un voleur de grand chemin qui ne tue point ceux qui donnent leur bourse de bonne grâce. Il vaut mieux faire un homme esclave que de le tuer, comme il vaut mieux voler qu'assassiner ; mais de ce qu'on a fait un moindre crime, il ne s'ensuit point qu'on ait sur le fruit de ce crime un véritable droit. Au reste, ces décisions de monsieur A ne sont pas la véritable opinion de M. de Voltaire. C'est un Anglais qu'il fait parler. Il a voulu peindre un caractère un peu dur, qui se soucie fort peu des hommes assez lâches et assez imbéciles pour rester dans l'esclavage, et qui trouve fort bon qu'on le fasse esclave s'il est assez faible pour préférer la vie à la liberté. (K.)

2. Liv. XV, ch. VI. {A'ote de Voltaire.)

3. Etat présent de la grande Russie, traduit de l'anglais de Perry. Paris, 1717, ln-12; voyez ce que dit Voltaire tome XVllI, page OOi.

4. Page 228. {Note de Voltaire.)

5. Voyez, dans les tomes suivants, les écrits de Voltaire sur les serfs du mont Jura.

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