Prenez-y garde, monsieur : quand on combat dans le siècle où nous sommes en faveur des fraudes pieuses des premiers siècles, il n’y a point d’homme de bon sens qui ne vous fasse perdre votre cause. Confessons, encore une fois, que toutes ces fraudes sont très-criminelles ; mais ajoutons qu’elles ne font tort à la vérité que par l’embarras extrême et par la difficulté qu’on éprouve tous les jours en voulant distinguer le vrai du faux.
Laissez là, croyez-moi, le voyage de saint Pierre à Rome 1, et son pontificat de vingt-cinq ans. S’il était allé à Rome, les Actes
des apôtres en auraient dit quelque chose ; saint Paul n’aurait pas
dit expressément : Mon Évangile est pour le prépuce, et celui de
Pierre pour les circoncis -. Un voyage à Rome est bien mal prouvé
quand on est forcé de dire qu’une lettre écrite de Babylone a été
écrite de Rome. Pourquoi saint Pierre, seul de tous les disciples de
Jésus, aurait-il dissimulé le lieu d"où il écrivait ? Cette fausse date
est-elle encore une fraude pieuse ? Quand vous datez vos lettres de
Besançon, cela veut-il dire que vous êtes à Quimper-Corentin^ ?
Il y a très-grande apparence que si on avait été bien persuadé, dans les premiers siècles, du séjour de saint Pierre à Rome, la première Église qu’on y a bâtie n’aurait pas été dédiée à saint Jean. Les premiers qui ont parlé de ce voyage méritent-ils d’ailleurs tant de croyance ? Ces premiers auteurs sont Marcel, Abdias, et Hégésippe. Franchement, ce qu’ils rapportent du défi fait par Simon, le prétendu magicien, à Simon Pierre, le prétendu voyageur*, l’histoire de leurs chiens et de leur querelle en présence de l’empereur Néron, ne donnent pas une idée bien avantageuse des écrivains de ce temps-là. Ne fouillons plus dans ces masures, leurs décombres nous feraient trop souvent tomber.
Nous avons peur que vous n’ayez raisonné d’une manière dangereuse en vous prévalant du témoignage de l’empereur Julien.
Songez que nous n’avons point tout l’ouvrage de Julien ^; nous
n’en avons que des fragments rapportés par saint Cyrille son adversaire, qui ne lui répondit qu’après sa mort, ce qui n’est pas
1. Voyez tome XX, page 592.
2. Êpitre aux Galates, ch. ii, 7. {Note de Voltaire.)
3. Voyez tome XX, page 214; et XXVI. 545.
4. Voyez, dans la Colle<:tion des évangiles,, a Relation de Marcel.
5. Voyez, ci-après, le Discours de l’empereur Julien.