Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/569

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les cloîtres. C’est là que dominent la persuasion ennemie de l’examen, et le fanatisme enfant furieux de cette persuasion ; c’est là que rampe l’aveugle obéissance, brûlant du désir de commander aux autres ; c’est là que se forgent les fers qui ont enchaîné de proche en proche tant de nations. Le petit nombre qui a découvert la fraude, et qui en gémit en secret, n’en est que plus ardent à la répandre ; il jouit du plaisir infâme de faire croire ce qu’il ne croit pas, et son hypocrisie est quelquefois plus persécutive que le fanatisme lui-même.

Voilà le joug sous lequel une partie de l’Europe baisse encore la tête, le joug que nous détestons, mais que nous-mêmes nous avons longtemps porté, lorsqu’un légat venait dans notre île^ ouvrir et fermer le ciel à prix d’or ; vendre des indulgences, et recueillir des décimes ; effrayer les peuples, ou les exciter à des guerres qu’il appelait saintes. Ces temps ne reviendront plus, je le crois, mes frères ; mais c’est afin qu’ils ne reviennent plus qu’il faut en rappeler souvent la mémoire.

Profitons de cette cérémonie sacrée, qui nous inspire la charité, pour ne souffrir jamais que la religion nous inspire la tyrannie et la discorde. Ici nous sommes tous égaux ; ici nous participons tous au même pain et au même vin ; ici nous rendons à l’Être des êtres les mêmes actions de grâces. Ne souffrons donc jamais que des étrangers aient l’insolence de nous prescrire en maîtres, ni la manière dont nous devons adorer le Maître universel, ni celle dont nous devons nous conduire, ni celle dont nous devons penser. Un étranger n’a pas plus de droit sur nos consciences que sur nos bourses. Il est cependant un de nos trois royaumes— dans lequel cet étranger domine encore secrètement. Il y envoie des ministres inconnus qui sont les espions des consciences. Ce sont là en effet des mystères, c’est là une religion cachée. Elle insinue tout bas la discorde, tandis que nous annonçons hautement la paix ; sa communion n’est que la réjcction des autres hommes : tout est à ses yeux ou hérétique ou infidèle. Depuis qu’elle a usurpé le trône des césars, elle n’a point changé de maximes ; et quoique les yeux de presque toutes les nations se soient enfin ouverts sur ses prétentions absurdes, et sur ses déprédations, elle conserve, dans sa décadence, le même orgueil qui la possédait quand elle voyait tant de rois à ses genoux. C’est en vain que notre premier Législateur a dit : Il n’y aura parmi

1. Voyez r.4, D, C, quatorzième entretien, ci-dessus, page 382. 2. L’Irlande.