au-dessus des tracasseries et des persécutions des bigots. Vous avez souffert trop d’avanies en France pour y pouvoir rester avec honneur ; vous devez quitter un pays où l’on poignarde votre réputation tous les jours, et où des Midas occupent les premiers emplois.
Adieu, cher Voltaire ; mandez-moi, je vous prie, vos sentiments, et soyez sûr des miens.
Il n’arrive que trop souvent
Que, tandis qu’on monte sa lyre,
Et qu’on arrange un compliment
Pour notre ami qui nous inspire,
Notre ami, loué hautement,
Prend ce temps-là tout justement
Pour mériter une satire.
Vous me prodiguez, mon cher ami, les plus beaux éloges sur cette noble philosophie avec laquelle je refuse les invitations des rois, et vous me louez de préférer ma petite retraite[1] du faubourg Saint-Honoré aux palais de Berlin et de Charlottenbourg. Savez-vous que j’ai reçu votre épître quand j’étais en chemin pour aller faire ma cour au roi de Prusse ?
Cependant ce n’est pas au prince,
Au conquérant d’une province,
Au politique, au grand guerrier,
Que je vais porter mon hommage ;
C’est au bel esprit, c’est au sage,
Que je prétends sacrifier :
Voilà l’excuse du voyage.
Puisqu’il a daigné jouer lui-même Jules César, dans une de ses maisons de plaisance, avec quelques-uns de ses courtisans, n’est-il pas bien juste que je quitte pour lui les Visigoths, qui ne veulent pas qu’on joue Jules César en France ? et faut-il que je me prive du plaisir de voir un savant, un bel esprit, enfin un homme aimable, parce qu’il porte malheureusement des couronnes électorales, ducales et royales ?
J’admire en lui l’esprit facile,
Toujours vrai, mais toujours orné ;
- ↑ Cette petite retraite était dans la rue Traversière, près le Palais-Royal. Voltaire en parle dans sa lettre du 31 juillet 1745, à Maupertuis.