Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais c’est trop se flatter de chercher à la fois
Et les agnus de Rome et les faveurs des rois ;
Non ! terminons en paix mon obscure carrière ;
Et du pape, et des grands, et des rois oublié,
Ne vivons que pour l’amitié,
C’est mon trône et mon sanctuaire.


1586. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À la Haye, le 28 juin.

Sous vos magnifiques lambris,
Très-dorés autrefois, maintenant très-pourris[1],
Emblème et monument des grandeurs de ce monde,
Ô mon maître, je vous écris,
Navré d’une douleur profonde !
Je suis dans votre Vieille Cour[2],
Mais je veux une cour nouvelle,
Une cour où les arts ont fixé leur séjour,
Une cour où mon roi les suit et les appelle,
Et les protège tour à tour.
Envoyez-moi Pégase, et je pars dès ce jour.

Mon héros a-t-il reçu mes lettres[3] de Paris, dans lesquelles je lui mandais que je m’échappais pour lui aller faire ma cour ? Je les envoyai à David Gérard, et le dessus était à M. Frédérics-Hof. Or David Gérard n’est pas sans doute assez imbécile pour ne pas sentir que ce M. Frédérics-Hof est le plus grand roi que nous ayons, le plus grand homme, celui qui a mon cœur, celui dont la présence me rendrait heureux pendant quelques jours.

J’attends donc à la Haye, chez M. de Podewils[4], les ordres de Votre Humanité, et le forspan[5] de Votre Majesté.

Que je voie encore une fois le grand Frédéric, et que je ne voie point ce cuistre de Boyer, cet ancien évêque de Mirepoix,

  1. Voltaire a déjà parlé des planchers très-pourris du palais de la Haye, dans sa lettre 1353.
  2. Palais qui appartenait au roi de Prusse, à la Haye.
  3. La lettre 1579 parait être la seule qu’on ait recueillie.
  4. Othon-Christophe, comte de Podewils, seigneur de Gusow, envoyé de Prusse à la Haye. Voltaire en parle dans ses Mémoires.
  5. Le mot allemand est Vorspann, et le v s’y prononce f. Il signifie relais. Voltaire, qui n’apprit de la langue allemande que ce qu’il lui en fallait, dit-il, pour parler à des chevaux et à des postillons en Prusse, emploie ici le mot forspan comme signifiant permission d’avoir des chevaux de relais. (Cl.)