Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/121

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Le monstre partit à l’instant ;
Et moi soudain tressaillissant,
D’abord je m’éveille, et mon songe
Dans l’obscurité se replonge.

Voilà ce que je songeais dernièrement, et je pensais me ranger du parti de ces bons poëtes trépassés ; ils n’ont pas tort d’être de mauvaise humeur ; vous abusez trop étrangement du privilège de grand génie ; vous allez à la gloire par autant de chemins qui y mènent ; vous me revenez comme ce conquérant qui croyait n’avoir rien fait tant qu’il restait encore une partie du monde à conquérir. Vous venez d’entamer les États de Molière ; si vous le voulez fort, sa petite province sera dans peu conquise. Je vous remercie de ce nouvel Harpagon, qui est, selon moi, une comédie de mœurs ; si vous l’aviez faite plus longue, il y aurait eu apparemment plus d’intérêt.

Voyez combien je vous ménage ; je ne vous importune point pour vous voir à présent ; j’attends que Flore ait embelli ces climats, et que Pomone nous annonce d’abondantes moissons, pour vous prier d’entreprendre ce voyage ; j’attends que mes lauriers aient poussé de nouvelles branches pour vous en couronner ; au moins souvenez-vous qu’après le duc de Richelieu personne n’a des droits plus incontestables sur vous que votre tudesque confrère en Apollon. Vale.

Fédéric.

2069. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON#1.
Versailles, 10 mars.

On m’a renvoyé ici vos ordres ; je suis à Versailles enfin#2 ; je n’y avais pas mis le pied depuis la perte de votre amie ; j’étais resté dans sa maison, je n’en sortais pas, elle me servait de tombeau. Je m’étais présenté quelquefois à votre porte ; mais, ne dînant point et sortant tard, je n’ai point eu la consolation de vous entretenir#3.

J’apprends dans le moment que Pouilly, mon ancien ami, le frère de Champeaux votre protégé, vient de mourir : on n’est entouré que de désastres. On voit tomber à droite et à gauche, comme dans une mêlée, et on reçoit enfin le coup, après avoir fatigué inutilement sa vie.

Éditeurs, de Cayrol et François. Où l’on venait de jouer Alzire sur le théâtre des Petits-Cabinets. Le premier paragraphe de cette lettre semble démentir l’indication qui se trouve en tête de la lettre 2045, et qui est confirmée par les premières lignes de cette lettre 2045. On peut dire qu’en janvier Voltaire mentionne expressément qu’il est à Versailles « en retraite », et non pour faire sa cour. En mars, il est venu pour faire sa cour, et c’est du château qu’il entend parler, en disant qu’il n’y a pas mis les pieds depuis la mort de Mme du Châtelet. Il n’y a pas d’autre moyen de concilier ces deux textes.