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du margrave. Il me charge de vous assurer de son amitié, et vous prie de mettre à fin l’affaire du marquis d’Adhémar[1]. Il sera charmé de le prendre à son service en qualité de chambellan, et lui fera des conditions dont il pourra être content. Quoique votre recommandation suffise auprès du margrave, il serait pourtant nécessaire, pour l’agrément du marquis, d’en avoir une, ou de M. de Puisieux[2], ou de M. d’Argenson, qu’il pût produire à la cour. Je vous serai bien obligée si vous pouvez le déterminer à venir bientôt ici, où nous avons grand besoin de secours pour remplir les vides de la conversation. Nos entretiens me semblent comme la musique chinoise, où il y a de longues pauses qui finissent par des sons discordants. Je crains que ma lettre ne s’en ressente ; tant mieux pour vous, monsieur, il faut des moments d’ennui dans la vie, pour faire valoir d’autant plus ceux qui font plaisir. Après la lecture de cette lettre, les soupers vous paraîtront bien plus agréables. Pensez-y quelquefois à moi, je vous en prie, et soyez persuadé de ma parfaite estime.

Wilhelmine.

2158. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[3].
Décembre 1750.

Madame, Votre Altesse royale a grandement raison : il faut avoir du bon temps. Les princes et les moines n’ont que leur vie en ce monde. Ce ne sont pas des régiments qui rendent heureux ; c’est de passer doucement les vingt-quatre heures du jour, et cela est plus difficile qu’on ne pense. Le Grand Turc s’ennuie à Constantinople ; c’est pourtant une belle ville. La situation de Baireuth n’est pas si riante, mais l’esprit et les grâces embellissent tout. Eh bien, madame, puis qu’il faut dire les gros mots, que ferez-vous avec votre esprit et vos grâces si Votre Altesse royale n’a pas une demi-douzaine de gens de mérite pour sentir le vôtre ? C’est une idée bien raisonnable de mettre quelques voix de plus dans votre concert. J’ai écrit encore deux fois au marquis d’Adhémar. Point de réponse encore. Il faut qu’il soit enchanté chez quelque Armide. J’écris une lettre fulminante à ma nièce ; il faut qu’elle use de son autorité, et qu’elle désenchante Adhémar pour l’envoyer plus enchanté à vos pieds. Mais, madame, il faudrait deux Adhémar, deux Graffigny, des recrues de plaisir.

Je jure, par mon sincère attachement à Vos Altesses royales, que si j’avais pu aller à Paris je vous aurais amené des recrues,

  1. Voyez les lettres 2110, 2156 et 2366.
  2. Le marquis de Puisieux, qui avait succédé au marquis d’Argenson, le 15 janvier 1747, comme ministre des affaires étrangères.
  3. Revue française, 1er février 1866 ; tome XIII, page 201.