J’ai été me plaindre au prince Henri ; il m’a juré qu’elle ne sortirait jamais de ses mains. Ce n’est, à la vérité, qu’un serment de prince, mais il est honnête homme. Enfin il est aimable, il m’a séduit ; je suis faible, je lui ai laissé Jeanne ; mais s’il arrive jamais un malheur, si l’on fait une seconde copie, où me cacher ? ma barbe devient fort grise, le poëme de la Pucelle jure avec mon âge et le Siècle de Louis XIV.
Quand j’étais jeune, j’aurais volontiers souffert qu’on m’eût dit : Dove avete pigliato tante coglionerie[1] ? mais aujourd’hui cela serait trop ridicule. Savez-vous bien que le roi de Prusse a fait un poëme dans le goût de cette Pucelle, intitulé le Palladium[2] ? Il s’y moque de plus d’une sorte de gens ; mais je n’ai point d’armée comme lui ; je n’ai point gagné de batailles ; et vous savez que.
Selon ce que l’on peut être[3],
Les choses changent de nom.
Enfin j’éprouve deux sentiments bien désagréables, la tristesse et la crainte ; ajoutez-y les regrets, c’est le pire état de l’âme.
Je vous ai priée, par ma dernière lettre[4], de faire préparer mon appartement pour un chambellan du roi de Prusse, qu’il envoie en France pour un beau traité concernant les toiles de Silésie. Puisqu’il me loge, il est juste que je loge son envoyé ; mais ayez surtout soin de notre petit théâtre. Je compte toujours le revoir. Ah ! faut-il vivre d’espérance ! Adieu ; je vous embrasse tristement.
Je profite d’un moment qui me reste pour vous avertir, monsieur, que le duc de Wurtemberg a dessein d’engager le marquis d’Adhémar[5] dans son service. Il a fait connaissance avec lui, à Paris, et j’ai appris, par un cavalier de la suite du duc, que le marquis d’Adhémar se proposait de venir ici. Je vous prie de le prévenir, et de l’engager à se rendre bientôt en cette cour. Je vous souhaite dans le cours de cette année une santé parfaite. C’est