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4916. — À M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[1].
Au Délices, 4 juin.

J’ai bien de la peine à revenir, monsieur, de la maladie qui m’a accablé. C’aurait été une grande consolation pour moi de voir M. Goldoni ; il m’aurait parlé de vous, il aurait trouvé chez moi des amis qui l’auraient pu servir à Paris, et je lui aurais fourni des voitures qui lui auraient épargné vingt lieues de chemin. Je le défie, d’ailleurs, de trouver dans Paris des hommes qui soient plus sensibles que moi à son mérite.

L’état où j’ai été et où je suis encore ne m’a pas permis de mettre la dernière main à la tragédie que j’ai fait essayer sur mon théâtre. Je compte d’avoir l’honneur de vous l’envoyer, dès que j’aurai pu y travailler.

Il a fallu m’occuper des commentaires sur Corneille. J’y ai joint une traduction en vers blancs de la tragédie de Shakespeare, intitulée la Mort de César[2], que je compare avec le Cinna de Corneille, parce que dans l’une et l’autre pièce le sujet est une conspiration. J’ai traduit Shakespeare vers pour vers. Je peux vous assurer que c’est l’extravagance la plus grossière qu’on puisse lire. Gilles et Scaramouche sont beaucoup plus raisonnables.

J’ai traduit aussi l’Héraclius de Calderon pour le comparer à l’Héraclius de Corneille. Calderon est aussi barbare que Shakespeare. En vérité, il n’y a que les Italiens et les Français, leurs disciples, qui aient connu le théâtre. Que ne puis-je en raisonner avec vous, monsieur ! Mes plaisirs en augmenteraient avec mes lumières.

Je vous souhaite une santé meilleure que la mienne, et des jours aussi heureux que vous le méritez. Je serai toute ma vie, avec le plus tendre respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4917. — À M. DAMILAVILLE[3].
4 juin.

Mon cher frère, je n’ai point encore cette Éducation de l’homme[4] le plus mal élevé qui soit au monde. Je l’aurai incessamment.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Ou plutôt une traduction des premiers actes de la tragédie de Jules César. Voyez tome VII, page 431.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.
  4. Émile ou de l’Éducation, par Jean-Jacques Rousseau.