Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/33

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Comme il faut encourager les gens de bien, écrivez-moi, je vous prie, un mot d’honnêteté pour cet honnête ecclésiastique : il le mérite par son zèle pour la bonne cause, et par son respect pour vous.

Je ne sais si je vous ai prié de remercier M. le chevalier de Molmire de ses Étrennes aux sots[1] et M. le rabbin Akib de son Sermon[2]. Je vous prie de leur dire à l’un et à l’autre que si l’un s’avise encore de prêcher et l’autre de donner des étrennes, ils n’oublient pas de m’en faire part.

Nous continuons à lire vos remarques sur Corneille, et nous venons de finir Héraclius. Je prends la liberté de vous répéter à ce sujet ce que vous m’avez déjà permis de vous dire : Ne critiquez Corneille que lorsque vous aurez deux fois raison ; il a un nom très-respecté, il est mort : voilà déjà une raison bien forte (je ne dis pas bien bonne) en sa faveur. Vous savez mieux que moi que, dans un genre tel que celui du théâtre, dont les règles renferment beaucoup d’arbitraire, on peut condamner et justifier presque tout ; et pour peu que Corneille soit justifiable par des raisons telles quelles dans les endroits où vous l’attaquez, vous êtes sûr d’avoir contre vous les pédants et les sots, qui déchireraient Corneille s’il n’était pas mort, et qui seront bien aises de vous déchirer parce que vous êtes vivant. Attendez-vous, par exemple, au mal qu’ils diront de Zulime. Je ne ferai pas chorus avec eux, car cette pièce m’a fait beaucoup de plaisir, au moins dans le rôle principal ; j’y trouve la passion bien ressentie, bien exprimée, et bien différente de cet amour de ruelle qui affadit notre théâtre.

Si par hasard vous connaissez l’auteur de l’Écueil du Sage[3], dites-lui aussi, je vous prie, que son ouvrage m’a fait plaisir ; qu’il est surtout très-moral, et, par cette raison, digne de rester au théâtre ; que le troisième et le quatrième acte sont excellents ; qu’il y a dans les autres des scènes fort agréables, et des détails très-intéressants. J’y voudrais un autre cinquième acte ; la pièce eût été meilleure en quatre, ou même en trois ; mais voilà ce que fait la superstition des règles. Il me semble que les auteurs dramatiques font pour les règles comme les Français pour les impôts ; ils y obéissent en murmurant.

Que dites-vous de l’état fâcheux de votre ancien disciple ? Il y a longtemps que je n’en ai reçu de nouvelles : vous écrit-il toujours ? Je le crois aux abois, et c’est grand dommage ; la philosophie ne retrouvera pas aisément un prince tolérant comme lui par indifférence (ce qui est la bonne manière de l’être], et l’ennemi de la superstition et du fanatisme.

On dit que vos bons amis et les miens vont avoir un vicaire général en France : on ajoute qu’ils en sont très-mécontents. Leur principale raison pour se plaindre est que, si on leur donne ce vicaire, ils ne seront plus rien ; c’est précisément ce qu’il faut qu’ils soient.

Je fais mon compliment, non à vous, mais au gouvernement, sur la pension qu’on vient de vous rendre. Si on n’en donnait qu’à des gens

  1. Ou les Chevaux et les Anes, tome X.
  2. Le Sermon du rabbin Akib est tome XXIV, page 277.
  3. Ou le Droit du Seigneur, tome VI, page 3.