Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/382

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À vous parler sérieusement, je trouve que si quelque chose fait honneur à notre siècle, ce sont les trois factums de MM. Mariette, Élie de Ceaumont, et Loyseau, en faveur de la famille infortunée des Calas.

Employer ainsi son temps, sa peine, son éloquence, son crédit, et, loin de recevoir aucun salaire, procurer des secours à des opprimés : c’est là ce qui est véritablement grand, et ce qui ressemble plus au temps des Cicéron et des Hortensius qu’à celui de Briet, de Huth, et de frère Berthier. Je m’embarrasse fort peu du jugement qu’on rendra, car, Dieu merci, l’Europe a déjà jugé, et je ne connais de tribunal infaillible que celui des honnêtes gens de différents pays, qui pensent de même, et composent, sans le savoir, un corps qui ne peut errer, parce qu’ils n’ont pas l’esprit de corps.

Je ne sais ce que c’est que le petit libelle[1] dont vous me parlez[2], où l’on me dit des injures à propos d’un examen de quelques pièces de Crébillon.

Je ne connais ni cet examen ni ces injures ; j’aurais trop à faire s’il fallait lire tous ces rogatons. Pierre le Grand et le grand Corneille m’occupent assez : j’en suis malheureusement à Pertharite, et je marie sa nièce pour me consoler. Nous mettrons dans le contrat de mariage qu’elle est cousine germaine de Chimène, et qu’elle ne reconnaît pour ses parents ni Grimoald ni Unulphe[3].

Elle pourra bien avoir fait un enfant avant que l’édition soit achevée. Beaucoup de grands seigneurs ont souscrit très-généreusement ; les graveurs disent que leurs noms ne sont pas des lettres de change.

J’envoie à l’Académie l’Hèraclius espagnol, que j’ai traduit de Calderon, et qui est imprimé avec l’Hèraclius français. Vous jugerez quel est l’original de Calderon ou de Corneille ; vous pâmerez de rire. Cependant vous verrez qu’il y a de temps en temps dans le Calderon de bien brillantes étincelles de génie. Vous recevrez aussi bientôt une certaine Histoire générale. Le genre humain y est peint cette fois de trois quarts ; il ne l’était que de profil aux autres éditions. Quoique je sois bien vieux, j’apprends tous les jours à le connaître.

Adieu, mon illustre philosophe ; je suis obligé de dicter, je

  1. Voyez la note, tome XXIV, page 345.
  2. Dans la lettre du 12 janvier.
  3. Persounages de Pertharite ; voyez tome XXXII, page 143.