Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/516

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donnerions des fêtes. Je voudrais bien, pour la rareté du fait, voir, avant de mourir, monsieur le maréchal amener sa fille dans notre pays huguenot. Le bruit a couru que vous alliez troquer votre gouvernement de Guienne contre celui de Languedoc ; c’était une grande joie chez toutes les parpaillottes. Cependant il paraît que votre nation n’est pas si aimable que vous ; elle est toute rassotée de vos lits de justice, de vos parlements, qui ne veulent pas obtempérer.

Je ne sais quelle maligne influence est tombée sur ce pauvre peuple ; mais il m’est avis qu’il est sorti de son élément, qui était la gaieté. Pour moi, il est vrai que je suis aussi dérouté que la nation ; mais je suis vieux, aveugle, et sourd ; et ces petits agréments ne rendent pas un homme excessivement folâtre. Il n’appartient qu’aux héros d’être toujours gais ; vous le serez quand vous aurez mon âge, et fort au delà. Avec de la santé, de la gloire, de grands établissements, de l’esprit, des amis, on peut se livrer tout naturellement à une joie honnête.

Vous protégez donc de près Mlle  d’Épinay[1] : cela dit qu’elle est buona robba, mais cela ne dit pas qu’elle est bonne actrice. Qu’elle soit ce qu’il vous plaira, j’obéis à vos ordres de grand cœur.

Je me prosterne devant votre force permanente, et devant vos agréments toujours nouveaux, devant votre esprit aussi sensé que gai, qui met aux choses leur véritable prix, et qui sait très-bien que la vie n’est qu’un pèlerinage qu’il faut semer de coquilles et de fleurs. Ma philosophie est la très-humble servante de la vôtre.

Ed intando la riverisco sommamente con ogni ossequio.


5324. — À M.  DE LA CHALOTAIS.
À Ferney, 22 juin.

Monsieur, j’ai reçu enfin, et j’ai dévoré, votre excellent Traité de l’Éducation[2]. Autrefois le triste emploi d’instruire la jeunesse était méprisé des honnêtes gens, et abandonné aux pédants, et, qui pis est, aux moines. Vous donnez envie d’être régent de physique et de rhétorique ; vous faites de l’institution des enfants un grand objet de gouvernement. Pourquoi ne tirerait-on pas du sein de nos académies les meilleurs sujets qui voudraient se con-

  1. Voyez la note 1, page 398.
  2. Essai d’éducation, etc. ; voyez la lettre 5207.