Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/91

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Saint-Eustache, vous a honoré, il y a environ quinze jours, d’une sortie apostolique dans laquelle il a pris la liberté de vous mettre en accolade avec Bayle. N’oubliez pas cet honnête homme à la première bonne digestion que vous aurez ; son sermon mérite qu’il soit recommandé au prône.

En voilà assez sur les sots et les sottises. Tout cela ne serait rien si nous n’avions pas perdu la Martinique, et si tout, jusqu’aux Russes, ne se moquait pas de nous. Eh bien ! que dites-vous de votre ancien disciple ? Je ne crois pas qu’il regrette autant que vous Élisabeth Petrowna. Par ma foi, il avait besoin de cette mort, et il en a bien promptement tiré parti. Je me souviens de ce que vous me disiez il y a six ans : Il a plus d’esprit qu’eux tous. Dieu veuille que nous profitions de l’exemple ou du prétexte que les Russes nous donnent pour nous débarrasser de cette maudite alliance autrichienne, qui nous coûtera plus que l’Espagne n’a coûté à Louis XIV !

Laissons les rois s’égorger, ainsi que les parlements et les jésuites, et parlons un peu de votre tragédie. Je suis charmé des corrections que vous y faites ; il faut qu’Olympie et Cassandre intéressent, et c’est là la grande affaire. À l’égard de la figure que fait Antigone au premier acte pendant la bénédiction nuptiale de Cassandre et d’Olympie, je ne prétends point du tout qu’Antigone doive troubler cette bénédiction. Je suis trop bon chrétien pour exiger qu’on donne dans l’église des coups de pied dans le cul à un prêtre qui fait ses fonctions ; mais, pour s’épargner cette incartade, quand on n’est pas sûr de soi, il faut faire comme vous, mon cher maître, il ne faut point aller à l’église : et pourquoi Antigone y reste-t-il pour y faire une si sotte figure ? que ne se tient-il chez lui pendant ce temps-là ? Il me paraît que sa présence et son silence le rendent en cette occasion un personnage de comédie. Tout cela soit dit, mon cher maître, sauf votre meilleur avis, comme de raison ; je suis aussi flatté de votre confiance que peu attaché à mes opinions.

Où en est l’édition de Corneille ? Il y a bien longtemps que nous n’avons reçu de vos notes. Au nom de Dieu, soyez sur vos gardes ; ayez raison autant qu’il vous plaira, mais soyez poli ; c’est où vos ennemis vous attendent ; ils vous déchireront pour peu que vous maltraitiez Corneille, et quand vous n’y serez plus, il ne leur en coûtera rien pour dire que vous aviez raison : ne serez-vous pas bien avancé ?

Vous ne me dites rien du mémoire[1] de M. de La Chalotais. C’est, à mon avis, un terrible livre contre les jésuites, d’autant plus qu’il est fait avec modération. C’est le seul ouvrage philosophique qui ait été fait jusqu’ici contre cette canaille. Il s’en faut bien que cet esprit de philosophie règne dans les parlements. Vous savez sans doute ce que le parlement de Toulouse vient de faire en condamnant à la corde un pauvre ministre[2], dont tout le crime était d’avoir fait au désert des baptêmes et des mariages ; et en faisant rouer vif un pauvre vieillard protestant[3] de soixante-dix ans, accusé

  1. Son Compte rendu ; voyez lettre 4856.
  2. Rochette ; voyez la lettre 4719.
  3. Calas.