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5432. — À M. DE BELMONT[1].
Ferney, 11 octobie 1763.

L’état où je suis, monsieur, qui me permet à peine de dicter une lettre, me met assurément hors d’état de faire des prologues[2] ; mais vous n’avez rien à regretter : la plupart des prologues sont fort insipides, et d’ailleurs il n’est pas bien sûr que la personne à qui vous voulez plaire[3] par ce prologue soit à Bordeaux lorsque vous donnerez le spectacle que vous préparez. Je m’intéresse plus que personne à vos succès et à vos plaisirs, mais un malade de soixante et dix ans n’est plus fait pour en donner en aucun genre ; il ne me reste que des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.


5433. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Ferney, 11 octobre.

Je vous jure, madame, que je suis aveugle aussi ; n’allez pas me renier. Il est vrai que je ne le suis que par bouffée, et que je ne suis pas encore parvenu à être absolument digne des Quinze-Vingts. J’ai d’ailleurs pris mon parti depuis longtemps sur tout ce qu’on peut voir et sur tout ce qu’on peut entendre ; et c’est ce qui fait que je ne regrette guère dans Paris que vous, madame, et le très-petit nombre de personnes de votre espèce.

Je suis persuadé que Mme la duchesse de Luxembourg[4] est partie pour la vie éternelle avec de grands sentiments de dévotion ; et cela est bien consolant. Vivez gaiement, madame, avec quatre sens qui vous restent : quatre sens et beaucoup d’esprit sont quelque chose.

C’est vous qui êtes très-clairvoyante, et non pas moi ; vous voyez surtout à merveille le ridicule de la façon d’écrire d’aujourd’hui. Le style qui est à la mode me porte plus que jamais à écrire avec la plus grande simplicité.

  1. Lettres inédites de Voltaire, Gustave Brunet, 1840. Voyez les notes de la lettre 5396.
  2. Voyez la lettre du 3 novembre suivant, adressée à M. de Belmont.
  3. Probablement le duc de Richelieu.
  4. Madeleine-Angélique de Neufville-Villeroy, née en 1707, mariée en premières noces, le 15 septembre 1721, à Joseph-Marie, duc de Boufflers, mort à Gènes le 2 juin 1747 ; et en secondes noces, le 29 juin 1750, à Charles-François de Montmorency-Luxembourg ; morte en 1787.