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CORRESPONDANCE.

saint-siége ; enfin, elle a accepté une bulle qui n’est qu’un monument d’insolence et d’absurdité. Elle a été assez courageuse et assez heureuse pour saisir l’occasion de chasser les jésuites ; elle ne l’est pas assez pour empêcher les moines de recevoir des novices avant l’âge de trente ans. Elle souffre que les capucins et les récollets dépeuplent les campagnes, et enrôlent nos jeunes laboureurs.

Nous sommes bien au-dessous des Anglais, sur terre comme sur mer ; mais il faut avouer que nous nous formons. La philosophie fait luire un jour nouveau. Il paraît, monsieur, qu’elle vous a rempli de sa lumière. Comptez qu’elle fait beaucoup de bien aux hommes. Orphée, dites-vous, n’amollissait pas les pierres qu’il faisait danser ; non, mais il adoucissait les tigres :


Mulcentem tigres, et agentem carmine quercus.

(Vir., Georg., lib. IV, v. 510.)


La philosophie fait aimer la vertu, en faisant détester le fanatisme ; et, si je l’ose dire, elle venge Dieu des insultes que lui fait la superstition.

J’attends avec impatience votre Moïse, dont je vous fais mes très-humbles remerciements. Je soupçonne que c’est un petit plagiat, un vol fut au livre de Gaulmin[1], imprimé en Allemagne il y a cent ans ; mais il y aura sûrement des choses utiles. Plus on fouille dans l’antiquité, plus on y retrouve les matériaux avec lesquels on a bâti un étrange édifice. Depuis le bouc émissaire et la vache rousse, jusqu’à la confession et l’eau bénite, vous savez que tout est païen. Sursum corda, ite missa est, sont les formules des mystères de Cérès. Toute l’histoire de Moïse est prise, mot pour mot, de celle de Bacchus[2]. Nous n’avons été que des fripiers qui avons retourné les habits des anciens.

Le petit livre De la Prédication est de l’abbé Coyer, qui voulait[3] mettre dans des boutiques les Montmorency et les Châtillon, et qui veut à présent que nous ayons des censeurs au lieu de prédicateurs, ou plutôt qui ne veut que s’amuser.

Je vous envoie, monsieur, un petit mot du roi de Prusse[4] qui ne plaira pas à la juridiction ecclésiastique. Si vous n’avez pas la Philosophie de l’Histoire[5], j’aurai l’honneur de vous la faire tenir,

  1. Voyez la note, tome XXVIII, page 180.
  2. Voyez tome XXVIII, page 184.
  3. Dans la Noblesse commerçante, 1756, in-12.
  4. La lettre 6275.
  5. Servant aujourd’hui d’introduction à l’Essai sur les Mœurs.