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ANNÉE 1766.

et de vous respecter. Sa Majesté a voulu garder la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Par ce sacrifice que je fais au roi, et par celui que je vous fais de son billet, vous devez connaître mon cœur. Vous voyez qu’il préfère à sa propre gloire le plaisir de faire des heureux.


6430. — À M. DAMILAVILLE.
À Genève, 25 juillet.

Le roi de Prusse vient d’envoyer cinq cents livres à Sirven[1]. Cette petite générosité, à laquelle rien ne l’engageait, m’a été d’autant plus sensible qu’il ne la faite qu’à ma prière, et que ce bienfait a passé par mes mains. Le mémoire du divin Élie produirait bien un autre effet.

Je ne doute pas un moment que, si vous vouliez venir vous établir à Clèves, avec Platon[2] et quelques amis, on ne vous fit des conditions très-avantageuses. On y établirait une imprimerie qui produirait beaucoup ; on y établirait une autre manufacture plus importante, ce serait celle de la vérité. Vos amis viendraient y vivre avec vous. Il faudrait qu’il n’y eût dans ce secret que ceux qui fonderaient la colonie. Soyez sûr qu’on quitterait tout pour vous joindre. Platon pourrait partir avec sa femme et sa fille, ou les laisser à Paris, à son choix.

Soyez très-sûr qu’il se ferait alors une grande révolution dans les esprits, et qu’il suffirait de deux ou trois ans pour faire une époque éternelle : les grandes chboses sont souvent plus faciles qu’on ne pense. Puisse cette idée n’être pas un beau rêve ! Il ne faut que du zèle et du courage pour la réaliser ; vous avez l’un et l’autre. J’attends votre réponse avec impatience, et je vous supplie surtout, mon cher ami, de presser Élie. Quand même on n’imprimerait qu’une centaine d’exemplaires de son factum pour Sirven, quand même les horreurs où l’on est plongé empêcheraient de poursuivre cette affaire, il en reviendrait toujours beaucoup de gloire à Élie, et une grande consolation pour Sirven. Je sèche en attendant la consultation des avocats en faveur de cet infortuné, qui est mort avec plus de courage que Socrate ; nous attendons aussi les noms des juges dont la postérité doit faire justice. Voici l’extrait d’une lettre que je viens de recevoir[3].

  1. Probablement avec la lettre 6409.
  2. Diderot.
  3. Les Mémoires secrets du 6 août 1766 parlent de cette lettre, ainsi que de