On me recommanda, ces jours passés, une lettre pour un notaire ; en voici une autre qu’on m’adresse pour un procureur : l’amitié ne rougit point de ces petits détails.
En réponse, monsieur, à la lettre dont vous m’honorez, du 25 juillet, je dois vous dire qu’il est très-vrai que j’envoyai, en 1757, à l’amiral Bing, quelques mois avant sa mort[2], le témoignage que M. le maréchal de Richelieu avait rendu à sa conduite. Monsieur le maréchal avait été témoin du combat naval donné fort près du pont : j’envoyai sa lettre originale à M. l’amiral Bing. Je l’avais vu à Londres en 1726 ; mais je ne crus pas devoir lui rappeler notre connaissance ; je crus que je le servirais mieux en paraissant être ignoré de lui ; mon paquet tomba dans les mains du feu roi d’Angleterre, qui l’ouvrit, et qui eut la générosité de l’envoyer à l’amiral.
La lettre de M. le maréchal de Richelieu fut présentée au conseil de guerre : elle fit pencher quelques juges en faveur de l’accusé ; mais la loi était précise contre lui, rien ne put le sauver. L’amiral, avant sa mort, recommanda sur le tillac, à son secrétaire, de m’écrire qu’il mourait mon obligé, et de m’envoyer tous les écrits qui contenaient sa justification.
Voilà, monsieur, tous les éclaircissements que je puis vous donner sur cette cruelle aventure. Il semble que ma destinée ait été de prendre le parti de ceux que des juges, ou prévenus ou trop sévères, ont inhumainement condamnés. L’Histoire d’Angleterre, à laquelle vous travaillez, monsieur, offre plus d’un exemple de ces jugements sanguinaires ; et, quelque histoire qu’on lise, l’humanité gémit toujours. J’espère que la lecture de votre ouvrage sera un de mes plus grands plaisirs dans la retraite où je finis mes jours.
J’ai l’honneur d’être, etc.