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ANNÉE 1766.
6446. — À M.  DAMILAVILLE.
6 auguste.

Le mémoire que vous m’avez envoyé, monsieur, fait verser des larmes et bouleverse l’âme. Il est bien triste de ne pouvoir mettre sur le papier tous les sentiments de son cœur. Le public doit frémir d’indignation.

Votre ami persiste toujours dans son idée. Il est vrai, comme vous l’avez dit, qu’il faudra l’arracher à bien des choses qui font sa consolation, et qui sont l’objet de ses regrets ; mais il vaut mieux les quitter par la philosophie que par la mort. Il perdra beaucoup, mais il lui restera de quoi vivre et de quoi être utile. Tout ce qui l’étonné, c’est que plusieurs personnes n’aient pas formé de concert cette résolution. Pourquoi un certain baron philosophe[1] ne viendrait-il pas travailler à l’établissement de cette colonie ? pourquoi tant d’autres ne saisiraient-ils pas une si belle occasion ?

Votre ami a reçu chez lui, depuis peu, deux princes souverains[2] qui pensent entièrement comme vous. L’un d’eux offrait une ville, si celle que l’on a en vue n’était pas convenable. Le projet concernant le grand ouvrage serait très-utile, et ferait en même temps la fortune et la gloire de ceux qui l’entreprendraient.

Votre ami, monsieur, prétend qu’il n’y a qu’à vouloir ; que les hommes ne veulent pas assez ; que les petites considérations sont le tombeau des grandes choses.

J’ai vu aujourd’hui le sieur Sirven, qui est pénétré de vos bontés officieuses. Nous pensons que voici le temps le plus favorable pour sa cause. Le public, soulevé contre tant d’injustices réitérées de toutes parts, se déclarera pour les Sirven. Il ne tiendra qu’à M.  de Beaumont de faire un chef-d’œuvre.

Si vous pouviez, monsieur, déterrer le mémoire de M.  de Gennes en faveur de M.  de La Bourdonnais, vous me rendriez un très-grand service. Nous avons ici un jurisconsulte[3] qui se propose de faire un recueil des causes célèbres de ce temps-ci : il y a cinq ou six procès qui doivent intéresser toutes les nations ;

  1. Le baron d’Holbach.
  2. Voyez lettre 6379.
  3. Ce jurisconsulte était Voltaire lui-même, qui, ayant, en 1763, parlé de La Bourdonnais dans le tome VIII de son Essai sur l’Histoire générale, pages 257 et suivantes, revoyait son travail pour le faire entrer dans son Précis du Siècle de Louis XV, qu’il publia en 1768.