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ANNÉE 1767

seconder ? L’esprit de corps porte malheur aux meilleurs esprits. Si nous proposons, l’année prochaine, l’éloge de Molière, comme cela pourrait être, je suis persuadé que le public nous rira au nez quand nous annoncerons devant lui qu’il faut que cet éloge soit approuvé par deux prêtres de paroisse.

Je ne sais quand Marmontel reviendra des eaux ; on dit que la femme[1] avec qui il y est allé, et qui comptait mourir en chemin pour éviter les prêtres, se porte beaucoup mieux, et reviendra peut-être se remettre entre leurs saintes mains cet hiver.

Je ne sais ce qu’est devenu J.-J. Rousseau, et je ne m’en inquiète guère. On dit qu’il avoue ses torts avec M. Hume, ce qui me paraît bien fort pour lui. On dit même qu’il a changé de nom, ce que j’ai bien de la peine à croire.

Adieu, mon cher et illustre confrère ; j’embrasse de tout mon cœur tous les habitants de Ferney, à commencer par vous. Ne m’oubliez pas, je vous prie, quand vous pourrez envoyer quelque chose à Paris. Vale, et me ama.

6940. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 juillet.

Je reçois votre lettre angélique du 10 juillet, mon tendre et respectable ami. Vous aurez bientôt ces malheureux Scythes ; mais je crois qu’il faut mettre un intervalle entre les sauvages de l’orient et les sauvages de l’occident. Je persiste toujours à penser qu’il faut laisser le public dégorger les Illinois[2] ; je pense encore qu’une ou deux représentations suffisent avant Fontainebleau. Faisons-nous un peu désirer, et ne nous prodiguons pas.

Je suis sans doute plus affligé que le petit Lavaysse ; mais comment voulez-vous que je fasse ? J’ai affaire à un d’Éon et à un Vergy[3], et je ne suis pas ambassadeur de France. Je suis persécuté, depuis longtemps, par mes chers rivaux les gens de lettres ; c’est un tissu de calomnies si long et si odieux qu’il faut bien enfin y mettre ordre. Il y a plus de douze ans que ce La Beaumelle me persécute, et me fait le même honneur qu’à la maison royale. Il y a plus de sûreté à s’attaquer à moi qu’aux princes. Si j’étais prince, je ne m’en soucierais guère ; mais je suis un pauvre homme de lettres, sans autre appui que celui de la vérité : il faut bien que je la fasse connaître, ou que je meure calomnié. Il ne s’agit pas ici de la Défense de mon oncle, qui est

  1. Mme Filleul ; voyez les Mémoires de Marmontel, livre VIII.
  2. Hirza, ou les Illinois, tragédie de Sauvigny.
  3. Voyez tome XLIII, page 458.